(Photo Dimitar DILKOFF / AFP - AFP)
Au-delà des dimensions politiques et économiques de la guerre en Ukraine, y aurait-il aussi une dimension religieuse ? Le texte suivant a été adapté et traduit du journal anglais The Tablet par le Père Philippe Goupille Président du Conseil des Religions.
Dans une communication au peuple russe dans laquelle Poutine expliquait pourquoi leurs forces armées franchissaient la frontière dans la région ukrainienne du Donbass, Poutine a affirmé que l'Ukraine elle-même n'était pas une nation souveraine légitime avec son propre gouvernement, mais un "régime" invalide imposé par l'Occident dans un désir de blesser la Russie. Est-ce de la pure paranoïa ? De quelle Russie parle-t-il ? C'est là que Poutine abandonne les réalités géopolitiques conventionnelles.
À leur place, il met une sorte « d'exceptionnalisme russe » - un mot qui mérite explication. Les règles internationales habituelles ne s'appliquent pas dans ce contexte. L'exceptionnalisme l'emporte sur le droit international et national. D’où la volonté de la Russie d'assassiner ses ennemis où qu'ils se cachent dans le monde. Sa justification n'est pas seulement historique mais aussi « religieuse »
La sagesse Occidentale conventionnelle est que Poutine est simplement un accapareur de pouvoir expansionniste voulant renforcer l'influence mondiale de la Russie. Il lui manque l'imagination pour voir ce qui se passe autrement qu'en termes purement matériels. Mais les preuves indiquent que
Poutine croit, avec autant de ferveur que le Patriarche de Moscou de l'Église Orthodoxe russe, qu'il existe une union mystique dans ce qui était autrefois la terre de la Sainte Russie, la terre sacrée et le peuple sacré qui l'habite.
Les dirigeants d'un tel espace, dont Poutine, ont le devoir devant Dieu de le préserver et de le protéger..
L'adresse de Poutine au peuple russe cette semaine était une sorte de résumé d'un essai de 5 000 mots qu'il a écrit l'année dernière, maintenant publié aussi en anglais. Les analystes occidentaux auraient pu se demander quelle est la pertinence des événements datant de plus de 1 000 ans: la fondation du peuple de la Russie ancienne centrée sur Kiev (Kiev), avec la conversion là-bas de Saint Vladimir le Grand. Il dirigeait un Royaume qui comprenait ce qui est aujourd'hui la Russie, ainsi que l'Ukraine et la Biélorussie modernes. Cette idée est au cœur de la vision géopolitique de Poutine.
L'Ukraine et sa capitale Kiev, était le partenaire principal de cette triple expression de la civilisation chrétienne. Elle était « orthodoxe » en ce sens qu'elle considérait avoir la seule vraie foi, contrairement aux affirmations de Rome. Subséquemment ce centre s'est déplacé vers l'est à Moscou en 1589, qui est alors connue sous le nom de "Troisième Rome" après le rejet de la Papauté et la conquête de Constantinople. L'autorité du patriarche de Moscou s'étendait sur l'ensemble de l'ancienne Russie.
L'une des raisons non des moindres pour considérer l'Ukraine comme illégitime dans l'esprit de Poutine est le désaveu de l'Église orthodoxe d'Ukraine (OCU –Orthodox Church of Ukraine) par le patriarcat de Moscou. Lorsque l'OCU a vu le jour en 2018, elle a confirmé que la rupture de l'Ukraine avec Moscou se voulait à la fois spirituelle et politique. L'Église orthodoxe russe revendique toujours la juridiction sur le territoire ukrainien et, comme Poutine, ne reconnaît pas l'Ukraine en tant que nation indépendante ni l'OCU en tant qu'Église orthodoxe indépendante.
La création de l'OCU a déclenché un grand schisme dans l'orthodoxie mondiale lorsque le patriarche œcuménique Bartholomée de Constantinople lui a délivré un certificat d'indépendance, appelé « tomos ». Cela a accordé à l'OCU son statut canonique d'autocéphalie, ce qui signifie la liberté des autres juridictions de l'Église orthodoxe (à l'exception de la sienne). Le patriarcat de Moscou a rapidement excommunié et anathématisé Bartholomée.
L'Église catholique entretient aujourd’hui des relations avec les deux patriarcats. Voilà donc la réponse à la question : qu'y a-t-il dans la tête de Poutine quand il pense à l'Ukraine ? C'est profondément ressenti et fondé sur l’histoire. Le départ de l'Ukraine de l'alliance des trois nations issues de l'ancienne Russie le blesse personnellement, et il n'est pas exagéré de dire qu'il en est obsédé.
Mais la question qui se pose maintenant est la suivante : combien de Russes partagent son engagement à restaurer l'ordre ancien, par lequel il n'entend pas l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques (USSR), mais une union mystique de la Russie, de la Biélorussie et de l'Ukraine, les trois terres gouvernées depuis Kiev par l'autre Vladimir, Vladimir le Grand, après l'an 980 ? Les militaires russes, les bureaucrates anonymes de Moscou, les milliardaires russes et les inconditionnels impitoyables du FSB (ancien KGB) qui l'entourent partagent-ils son destin mystique de restaurer un nouveau paradis sur terre, gouverné par lui personnellement ? Ou se demandent-ils peut-être ce que le Christianisme des évangiles, en particulier les enseignements de Jésus dans le Sermon sur la montagne, ont à voir au ciel et sur la terre avec l'agression territoriale contre un voisin sous le moindre prétexte ? Même s'ils sont de fidèles chrétiens orthodoxes, pourraient-ils penser qu'une terre sainte serait souillée et profanée en tuant en son nom ?
La réponse de l'Occident à l'aventure ukrainienne de Poutine doit creuser un fossé entre lui et ses associés, complices et financiers, en augmentant le coût de leur soutien à ses ambitions mystiques capricieuses jusqu'à ce que ce soit trop lourd à supporter.
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