Le Frère René Coutagne, bientôt 94 ans, prêtre depuis 60 ans au sein de « L’Ordre des Frères Mineurs » (O.F.M) (couramment connu comme les Franciscains), a passé 40 ans de sa vie sacerdotale dans le diocèse de Port Louis. Il est rentré en France il y a quelques jours, où il a retrouvé sa Fraternité Franciscaine. Avant de partir, le Frère franciscain a partagé avec nous son expérience de missionnaire en terre mauricienne et nous a fait part aussi, avec son franc-parler habituel, de ses observations et réflexions sur d’autres sujets.
*Comment s’est déroulée cette très longue mission dans le diocèse de Port-Louis ?
Je suis venu à Maurice dans un but précis : faire connaitre la spiritualité franciscaine et soutenir une fraternité laïque franciscaine. Toutefois il y a un manque de prêtres dans le diocèse de Port-Louis pour tenir toutes les paroisses et quand une congrégation religieuse vient s’implanter, l’évêque a raison d’offrir une paroisse aux prêtres de cette congrégation. Quand nous sommes arrivés en 1980, Mgr Margéot nous a alors confié la paroisse de Notre-Dame-du-Mont-Carmel à Chemin-Grenier et la responsabilité de la chapelle de Saint François d’Assise à Baie du Cap. J’avoue que j’ai eu quelques difficultés au départ à m’y adapter car l’accent est mis ici sur la vie de la paroisse. De ce fait, le prêtre qui est membre d’une congrégation a peu de temps pour faire rayonner la spiritualité de cette congrégation car il doit veiller à la bonne organisation de la paroisse qui lui a été confiée et être attentif aux besoins des paroissiens. Ce n’était pas prévu que je reste aussi longtemps chez vous mais en même temps ce n’était pas une contradiction avec la mission franciscaine et je suis heureux de cette expérience. Il y a eu deux étapes dans ma mission ici ; d’abord Chemin Grenier, et ensuite Beau-Bassin où nous avons construit une maison pour accueillir des groupes franciscains venant de l’étranger et pour avoir une présence dans le centre de l’ile où il y a beaucoup d’activités sur le plan social et religieux. Dans la région sud j’ai eu la chance de m’occuper surtout des fidèles du monde créole.
*Durant ces 40 ans, vous avez été témoin des principaux évènements de l’Eglise à Maurice et en partant quel regard portez-vous sur son parcours ?
Je vois une Eglise vivante et dynamique et qui s’adapte aux nouvelles réalités. Je note aussi qu’il y a une recherche de soutien mutuel. Toutefois le manque de prêtres a un impact sur l’organisation des paroisses. A mon avis, il faut permettre davantage au Mauricien catholique moyen d’avoir une ossature chrétienne plus solide. Je constate qu’on a des connaissances parfois peu approfondies sur tel ou tel sujet et c’est pour cette raison qu’il faut aider le catholique de la base à avoir une idée globale de la doctrine chrétienne pour être fortifié dans sa propre foi et en même temps, cela lui permettra d’être plus équipé pour dialoguer avec conviction avec les personnes d’autres religions tels l’hindouisme et l’islam. Tel est mon souhait pour cette Eglise de Maurice qui m’a permis d’être avec des gens de différents milieux socio-économiques et de différentes cultures. Et a ceux qui démarrent dans la vie sacerdotale je leur dirai de toujours centrer leur vie sur Jésus-Christ afin qu’ils soient toujours enthousiastes dans leur vocation et pour répondre aux nouveaux défis auxquels est confrontée l’Eglise. J’ai fait aussi une observation en ce qu’il s’agit de la politique concernant les Mauriciens de foi catholique. Le prêtre mauricien veut faire de la politique mais il est bloqué alors que le laïc qui a la possibilité d’entrer sur la scène politique ne le fait pas. Je pense que les Catholiques à Maurice devraient avoir une notion de base de sciences humaines et apprendre les rouages de la politique. Il faut avoir des notions précises du pouvoir exécutif, du pouvoir législatif et du pouvoir judiciaire avant de se lancer. Mais si quelqu’un trouve que la politique est sale, l’Evangile entre les mains est un détergent puissant pour enlever la saleté de la politique !
*Au bout de 40 ans vous connaissez toutes les régions de l’Ile Maurice et vous êtes familier à la société mauricienne ; quel aspect du pays emportez-vous particulièrement dans votre valise?
Je dirai la gratitude des petites gens, surtout celles vivant dans des régions rurales. J’ai beaucoup apprécié la simplicité de vie des personnes de Chemin-Grenier et les habitants de cette partie de l’ile sont très accueillants et très ouverts aux étrangers.
* Vous êtes de la même génération que le pape François qui a secoué la vie au Vatican par certaines initiatives ; que vous inspire François ?
Je suis content que vous me parliez de François. D’abord Il est bon de souligner que Jorge Mario Berboglio a pris le nom de François à cause de St François d’Assise. Tout en étant Jésuite, durant ses études pour la prêtrise il était sensible à la façon de vivre de Saint François d’Assise et cela transpire dans son encyclique sur l’écologie. François est une personne fort sympathique d’autant qu’il essaie de suivre Saint François d’Assise. Il est très courageux pour les initiatives qu’il a prises pour secouer l’Eglise. Il présente un visage de l’Eglise qui est nouveau et il essaie de réformer le Vatican mais il rencontre beaucoup de difficultés. Il faut qu’une bombe tombe sur le Vatican pour que les choses puissent évoluer ! (Le Père Coutagne dit cela dans un grand éclat de rire). Pour moi le grand problème c’est la division de l’Eglise car chacun s’organise de son côté et cela nuit aux efforts de l’unité. Quand François est entré en recherche de vocation il est entré dans l’église de St Damien et s’est recueilli devant le crucifix. Et le Christ ne lui a pas dit « Convertis-toi » mais lui a dit « Répare mon Eglise qui tombe en ruine » car à l’époque il y avait beaucoup de scandales dans l’Eglise. Depuis son arrivée au Vatican il a apporté beaucoup de changements, de paix et de joie et il a consolidé la foi de beaucoup de chrétiens. Comme l’ont fait les papes précédents ,François essaie de faire l’union avec les orthodoxes et les responsables d’autres Eglises chrétiennes. Mais il y a encore beaucoup d’obstacles sur cette route vers l’unité.
*Comment doit agir le chrétien face aux évènements qui bouleversent le monde?
On a l’identité chrétienne mais c’est très rare qu’on soit un chrétien authentique. La foi chrétienne risque d’être superficielle si elle n’est pas en profondeur dans notre vie et si elle est bien enracinée, il faut accepter de mourir pour défendre sa position. J’avoue que c’est difficile de se sacrifier pour Jésus car on a peur. Le Chrétien a un idéal, mais comme beaucoup de personnes, il est tenté parfois par des pratiques qui ne correspondent pas aux valeurs évangéliques. Il cède parfois à l’injustice, à la gloire, à l’argent. C’est pour cette raison que j’insiste sur la nécessité que le fidèle catholique ait une ossature chrétienne plus solide. Avec une meilleure connaissance de la doctrine chrétienne, il prendra au sérieux les exigences de l’Evangile et fera régulièrement une réflexion sur sa fidélité aux béatitudes que Jésus nous a laissées.
*Auriez-vous une passion que vous avez délaissée par manque de temps ces dernières années et avec laquelle vous allez renouer en rentrant en France ?
J’ai fait des études de beaux-arts et comme j’ai encore la main solide je fais de temps en temps des dessins et j’aime bien aussi la nature. D’ailleurs c’est à travers la nature que Saint François d’Assise découvre la grandeur, la bonté et la beauté de Dieu. C’est dans la nature que François d’Assise trouve des éléments pour alimenter sa spiritualité. Et c’est précisément cette spiritualité que je transmets à travers une trentaine de posters que j’ai fait pendant le confinement. Je vais apporter ces dessins en rentrant en France et je vais continuer à faire d’autres posters là-bas. Durant mon séjour ici je me suis intéressé aussi à l’hindouisme et je pense continuer à faire des recherches sur cette religion pour voir les points de convergence avec la foi chrétienne.
(Crédit photo : La Vie Catholique)
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