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Lettre Pastorale 2011 – Développer un nouvel art de vivre écologique

Chers frères et sœurs mauriciens,

Je souhaiterais, cette année, vous inviter à une réflexion et à un engagement résolu en faveur de l’écologie.

L’écologie concerne l’art de vivre ensemble dans notre « maison commune », la terre, en harmonie avec la nature, en paix avec nos frères et sœurs, et en confiance envers Dieu, notre Père qui a créé cette terre et nous l’a donnée.

Dans un vaste échange, en préambule à cette Lettre Pastorale, certains d’entre vous m’ont fait remarquer que la question écologique est éminemment « holistique », c’est-à-dire qu’elle intéresse la plupart des dimensions de la personne humaine : sa raison, son cœur, son sens esthétique, ses relations interpersonnelles, son interdépendance avec la nature, ses habitudes culturelles,  son sens civique, sa créativité, sa foi.

Le sujet couvre de multiples aspects, interconnectés les uns aux autres. Il faut seulement choisir par quelle porte entrer. Et, très clairement, plusieurs d’entre vous me conseillaient d’entrer par la porte de la foi et de la spiritualité. Car c’est là surtout que beaucoup attendent la contribution de l’Eglise.

C’est ce que je vais essayer de faire dans cette lettre. En montrant d’abord comment la crise écologique est, au fond, la manifestation d’une crise morale. En montrant ensuite comment une motivation spirituelle provenant de la foi en Dieu, Créateur et Sauveur, peut apporter un souffle, le long souffle dont nous avons besoin pour tenir la distance sur le  chemin d’un renouveau dans l’art de vivre écologique. Dans une troisième partie, je suggère quelques pistes à emprunter pour nous engager résolument sur ce chemin. Cette lettre voudrait simplement vous encourager  tous à marcher ensemble avec réalisme et espérance.

1ère Partie : Crise écologique ou crise morale ?

1.1.   Notre environnement se dégrade

Un consensus grandissant émerge parmi les scientifiques. Ils nous avertissent que la détérioration globale de notre environnement depuis un siècle et demi environ est sans précédent. Cela provient, nous disent-ils, non pas du hasard mais d’un type bien précis d’activité humaine, l’industrialisation à outrance. Déjà apparaissent des conséquences préoccupantes pour la qualité de la vie humaine sur la terre[1].

a)      Au niveau mondial

Le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) mis sur pied par les Nations Unies, affirme dans son dernier rapport, auquel ont participé 2,500 scientifiques de 130 pays, que le réchauffement climatique observé depuis 1950 est très probablement d’origine humaine. Ce phénomène implique de fortes conséquences humaines et environnementales à moyen et long terme. Par exemple, de nombreux paysans du delta du Nil et du golfe du Bengale sont d’ores et déjà contraints d’abandonner des terres qui avaient été cultivées depuis des siècles. Car avec la montée des mers, imputable au réchauffement climatique, ces terres ont été salinisées et rendues inaptes à la culture[2].

Par ailleurs, la surconsommation des ressources naturelles de la planète, avec une déforestation croissante, un surpâturage, l’érosion des terres arables, une agriculture dopée par des fertilisants chimiques, des sols et des écosystèmes abîmés par des pesticides surabondants, la surexploitation des ressources marines, ainsi que la pollution de l’eau et de la mer, entraînent l’extinction de plusieurs espèces animales. Si les choses  continuent ainsi, la moitié des espèces vivantes auront disparu en 2050[3].

Il se trouve qu’en même temps la population mondiale a plus que doublé : en 50 ans, elle est passée de 2.5 à plus de 6 milliards. Malgré les efforts pour limiter cette croissance, nous serons, selon les estimations conservatrices, plus de 8 milliards d’ici 40 ans[4]. Les besoins de ces nouveaux convives à la table à manger mondiale nous posent la question des ressources, car nous savons bien qu’elles sont limitées. Or, certains dans les pays riches, les utilisent de manière irresponsable comme si elles étaient inépuisables. Déjà aujourd’hui, la crise alimentaire qui se profile à l’horizon montre notre extrême vulnérabilité : il suffit d’une sècheresse en Europe, des inondations en Australie et des pluies excessives au Canada pour que la pénurie s’installe et que les prix flambent[5]. Un rapport commandité depuis 2008 par le gouvernement du Royaume Uni et publié en janvier 2011 parle de la crise alimentaire comme d’une menace majeure qui demande qu’on repense fondamentalement la stratégie employée pour nourrir les habitants de la planète[6].

Dans la préface de ce même rapport, il est dit clairement que « le système global de production et de consommation de nourriture épuise les ressources naturelles du monde à un rythme insoutenable, tout en négligeant les plus pauvres et les plus vulnérables, dont un milliard souffrent encore de la faim et de la malnutrition »[7].

De même, pour l’eau, sa distribution est outrageusement inégale : 85% des ressources d’eau de la planète sont consommées par seulement 12% de la population mondiale. Aujourd’hui encore, 1.8 milliards d’humains doivent faire jusqu’à un kilomètre pour avoir accès à l’eau et ils en utilisent seulement 5 gallons par jour ; alors qu’aux USA, chaque personne utilise en moyenne 158 gallons par jour. L’eau étant essentielle pour la vie, le droit d’accès à l’eau est très proche du droit à la vie. En plus de sa difficulté d’accès, la mauvaise qualité de l’eau disponible est la cause du décès de 1.4 millions d’enfants chaque année[8].

b)      A Maurice

Les mêmes symptômes  de la crise commencent à apparaître chez nous mais à plus petite échelle. Etant un des pays avec la densité la plus forte de population au km carré dans  le monde, la pression du style de vie de notre population sur nos ressources naturelles est d’autant plus forte. Et tout le monde doit avoir un accès équitable à ces ressources. Nous ne pouvons pas prendre à la légère l’impact déjà trop lourd sur notre cadre de vie naturel du modèle de développement économique que nous avons adopté et du style de consommation dans lequel nous nous complaisons.

On peut saluer quelques décisions courageuses prises par le gouvernement pour protéger notre environnement contre nos comportements. Par exemple, le refus d’accorder un permis d’opération à City Power, la préservation de la Vallée de Ferney, la protection du parc marin de Blue Bay, ou encore la conservation de l’île aux Aigrettes et de l’île Ronde par le Mauritius Wildlife Foundation.

Mais hélas, on constate aussi à plusieurs endroits de nos côtes un début d’érosion des terres qui défigure nos plages[9]. On s’inquiète de la détérioration de ce patrimoine qui non seulement tient à cœur aux Mauriciens, mais est aussi à la base de l’industrie touristique. Déjà la lutte contre cette érosion commence à coûter très chère[10].

La recommandation du FMI (Fonds Monétaire International) par rapport à l’introduction prochaine d’une nouvelle taxe à Maurice, la « Carbon Tax » sur les véhicules, pour lutter contre les effets de la congestion routière sur l’environnement fait réfléchir. Cette recommandation, qui rejoint une prévision du dernier budget, laisse entendre que notre problème de congestion routière n’est pas seulement la source d’une perte de temps précieux mais contribue déjà à la détérioration de l’environnement par les émissions grandissantes de gaz carbonique que cette congestion dégage[11].

Quant à la surconsommation, nous remarquons tous qu’on trouve de moins en moins de poisson et de fruits de mer dans nos lagons. Pourtant ce poisson était encore abondant, il y a seulement quelques décennies. Cela ne vient-il pas du fait qu’on a trop pêché, qu’on n’a pas agi assez sévèrement contre la pêche illégale, et qu’on a permis un développement immobilier et industriel trop rapide et pas assez règlementé le long de nos côtes ? Nos lagons sont en train d’être détruits.

Une autre ressource naturelle qui est en train de s’épuiser à cause de la surconsommation, c’est l’eau. D’après les statistiques officielles, nos ressources en eau à l’île Maurice ont diminué de 8% en 30 ans, alors que la demande globale a augmenté de 32% de 1995 à 2003. Ainsi en 1998, les Mauriciens pouvaient disposer en moyenne de 1970m3 par personne par an, mais aujourd’hui chacun de nous ne dispose plus que de 1083m3 par an[12]. Pendant ce temps là, nous ne captons que 33% de l’eau de la pluie qui tombe chez nous. Le reste va à la mer.

Nos « wetlands », les mares qui sont près de nos côtes, sont des espaces d’une importance capitale pour l’écoulement des eaux comme pour l’équilibre de notre écosystème et la protection des espèces végétales et animales. Or, en 20 ans, 50% de ces « wetlands » près des côtes nord et ouest ont été remplies. Et on continue à en remplir environ 1 km carré par an. Il y a bien un projet de loi en préparation. Mais beaucoup de tort a déjà été fait[13].

Enfin, il y a chez nous un contraste choquant entre le soin jaloux apporté par chaque famille mauricienne à son espace privé (son jardin ou sa cour), et la désinvolture avec laquelle ces mêmes familles polluent sans vergogne les espaces publics (la rue, les plages, les sentiers de randonnée, les canaux et les rivières, la mer), là encore, le manque de règlementation et l’impunité qui en découle encouragent cette pollution.

Souvent on entend dire : « Ce n’est pas mon travail de ramasser les ordures. Il y a des personnes qui sont payées pour le faire ! » Ce genre de réflexion témoigne malheureusement d’un grand déficit dans notre sens civique. Est-ce que le fait qu’il y a des pompiers qui sont payés pour éteindre le feu, me donne le droit de me croiser les bras quand le feu prend devant moi ? Sous prétexte que « ce n’est pas mon travail de l’éteindre ? »

c)       La crise écologique affecte davantage les pays pauvres

Toutes les études sur le sujet le reconnaissent. La pollution de l’environnement global et l’épuisement des ressources naturelles mondiales affectent beaucoup plus les pays pauvres que les pays riches. Le souci pour la protection de l’environnement va de pair avec le souci pour le développement humain des plus pauvres.

Or, malgré toutes les grandes conférences internationales qui ont eu lieu sur le sujet, il est triste de constater que les pays riches continuent, comme si de rien n’était, à surconsommer les ressources de la terre pour maintenir leur niveau de vie à eux, et à polluer l’environnement sans se soucier des pays pauvres dont le niveau de vie se dégrade à cause de cette surconsommation et de cette pollution.

De leur côté les pays pauvres ou émergeants continuent à se laisser attirer par l’illusion d’un développement basé sur la surconsommation, comme dans les pays riches, alors que ce modèle ne favorise pas le développement humain durable de leur population. Ils sont encouragés en cela par une publicité trompeuse qui, se nourrissant elle-même de la surconsommation, continue de leur vendre sans vergogne le mirage d’un bonheur basé sur l’enrichissement matérialiste; ce qui fait l’affaire des vendeurs sur le court terme, mais continue à polluer l’environnement et à épuiser les ressources de la planète sur le long terme.

1.2.     Pourquoi n’arrive-t-on pas à stopper cette dégradation de notre environnement

Nous nous trouvons aujourd’hui devant un paradoxe étonnant. Malgré le constat accablant sur lequel s’accordent les scientifiques, malgré leurs nombreuses mises en garde adressées aux décideurs, malgré les appels répétés de divers autorités morales, comme les Nations Unies, des Prix Nobel, les Papes Jean-Paul II et Benoit XVI, et d’autres chefs religieux, malgré le travail remarquable de conscientisation de la part de nombreuses ONG, nous sommes témoins d’une léthargie déconcertante chez les décideurs. « Des questions cruciales ne reçoivent qu’une attention polie ; des réformes qui mettent en jeu l’avenir de l’humanité sont ajournées ; des décisions capitales ne sont pas prises. Tout le monde sait qu’il y a péril en la demeure, mais personne, ou presque, ne semble déterminé à agir »[14]. L’échec relatif des grandes conférences de Copenhague (2009) et de Cancun (2010) sur le climat, en sont de tristes illustrations.

Quelles sont les causes de ce genre de paralysie, de cette difficulté à nous mettre en route ensemble pour relever le défi écologique de notre temps ? Il semble qu’il y ait au moins trois types de blocage à la source de cette étrange inertie.

a)      Blocage culturel

Pour relever le défi écologique, il faut remettre en cause notre manière de vivre, notre rapport au monde, avec les autres et avec soi-même. Prenons le cas des émissions de gaz à effet de serre. Toutes les actions que nous pourrions entreprendre pour les réduire  et donc diminuer le réchauffement climatique, , heurtent de front nos intérêts immédiats, nos modes de vie courants, par exemple, renoncer à rouler dans de grosses cylindrées, se servir davantage des transports publics et moins de sa voiture ou de sa moto, réduire notre consommation de plastique, recycler davantage les déchets, se servir moins du charbon et de l’huile lourde pour produire notre électricité. Ce qui est remis en question c’est une certaine culture de consommation qui s’impose de plus en plus chez nous comme dans la plupart des pays du monde. Il y a une contradiction frontale entre nos besoins de confort et de jouissance immédiats et la prise en compte d’enjeux vitaux pour l’avenir du genre humain. Et, qui plus est, il faudrait modifier nos modes de vie alors même que les dangers sont souvent encore à peine sensibles[15].

b)      Blocage économique

Ce qui aggrave les choses, c’est que le modèle d’économie libérale, promu par l’occident, et qui s’impose de plus en plus dans le monde, repose sur l’idée que la croissance économique doit être toujours en hausse. Or, le moteur de cette croissance économique n’est autre qu’une consommation qui, elle aussi, doit toujours augmenter. Dans un monde aux ressources limitées, l’idée d’une croissance économique illimitée n’a pas de sens. Le niveau de consommation nécessaire à cette croissance économique est en fait une surconsommation et un gaspillage effrayants. Les ressources de la terre seraient incapables de soutenir ce niveau de vie s’il était étendu à l’ensemble des pays de la planète. En effet, on a calculé que si tous les humains vivaient comme un Nord-Américain moyen, il nous faudrait cinq planètes pour fournir les ressources nécessaires à leur mode de vie. Si nous vivions tous comme un Européen moyen, il en faudrait trois[16].

La conclusion est inéluctable : le mode de vie occidental, et le type de développement économique qui l’alimente n’est pas un modèle viable. Le mode de vie des pays pauvres n’est pas non plus un modèle à suivre, puisqu’il ne respecte pas toujours la dignité des personnes. Il faut trouver un autre type d’économie qui promeut un style de vie moins gourmand en ressources naturelles, moins polluant pour l’environnement et plus axé sur le développement humain des personnes.

Heureusement, certains chercheurs et certains entrepreneurs, à Maurice y compris, commencent à se rendre compte qu’on peut trouver de nouvelles formes d’agriculture, de commerce et d’industrialisation, qui tout en alimentant une croissance économique raisonnable, réduisent la dégradation des ressources naturelles, favorisent un style de vie moins gourmand et promeuvent un développement plus respectueux des personnes[17].

c)       Blocage politique

Pour relever le défi écologique de notre époque, les mesures que les dirigeants politiques doivent prendre ne portent des fruits que sur le long terme. Malheureusement, ces politiques bénéfiques pour leur population sur le long terme sont souvent impopulaires sur le court terme.

Dans le système de gouvernement démocratique, les dirigeants élus pour un temps n’aiment pas heurter de front le style de consommation de leurs mandants, ni le style de croissance économique qui leur assure une prospérité court terme, le temps de leur mandat. Ils ont du mal à reconnaître que ces habitudes qu’ils ne veulent pas remettre en cause font un tort immense à l’environnement du pays et ne servent pas les intérêts réels de leurs populations sur le long terme[18].

De plus, beaucoup d’enjeux écologiques sont transfrontaliers. Les élus qui veulent en tenir compte doivent inviter leurs mandants à changer des habitudes locales pour le bien global de la planète. Ce qu’ils ne sont pas toujours disposés à faire. Par exemple, des mesures voulues par l’administration Obama pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et ainsi contribuer à la réduction du réchauffement climatique, ont été bloquées par des sénateurs démocrates de quelques Etats charbonniers. « Les intérêts les plus étroitement économiques, à court terme, de quelques territoires se dressent contre les intérêts climatiques et vitaux à plus long terme de la planète »[19].

Le système de gouvernement démocratique basé sur la représentation tel qu’il fonctionne aujourd’hui, n’est pas très adapté à la prise en compte des enjeux écologiques, pourtant vitaux.

Heureusement à Maurice, le gouvernement se rend compte qu’il faut penser aux intérêts de la nation et de la planète à long terme. Le projet M.I.D. va dans ce sens. Des mesures sont prises pour encourager les entrepreneurs, des chercheurs et la société civile à s’y mettre. Mais ces mesures restent encore « timides ».

1.3.     La crise écologique – manifestation d’une crise morale

Quand on voit la léthargie des décideurs devant le rythme auquel nous continuons à épuiser les ressources naturelles, à polluer l’environnement, à détruire des écosystèmes délicats ou à faire disparaître à jamais des espèces vivantes, on peut se demander si ce qu’on appelle aujourd’hui la « crise écologique » n’est pas plutôt un recueil de symptômes d’un mal plus profond. En fait ce qu’on voit vraiment, c’est un dérèglement dans notre relation avec la création et avec nos frères humains, et plus profondément encore dans notre relation avec Dieu. C’est pourquoi je pense que la crise qui nous préoccupe n’est pas simplement une crise écologique mais davantage une crise morale.

Ce qui est en cause dans cette crise, c’est la question de savoir si nous allons continuer à exploiter les ressources de la création comme si elles n’étaient là que pour servir à faire du profit et à nous procurer une jouissance matérielle. Pouvons-nous revenir à la sagesse du gérant avisé et prévoyant qui connaît les limites du patrimoine naturel qui lui a été confié et le gère dans l’intérêt du peuple qui en dépend pour vivre ?

Ce qui est en cause dans cette crise n’est-ce pas la question de savoir quel type de relation nous voulons entretenir avec nos compatriotes ainsi qu’avec les autres habitants de la planète ?  Allons-nous prendre au sérieux le principe de la destination universelle des biens de la terre et mettre en œuvre les mécanismes commerciaux et financiers, ainsi que les conventions pour la formation et l’accompagnement humain qui pourraient assurer une vraie solidarité entre pays riches et pays pauvres ? Ou bien allons-nous accepter passivement une situation où 80% des ressources de la planète sont consommées par seulement 5 ou 6% de ses habitants ?

Ce qui est en cause dans cette crise n’est-ce pas notre capacité de transmettre en bon état aux générations futures le merveilleux cadre de vie que nous avons reçu et dont nous avons profité durant notre séjour sur la terre ? Allons-nous adopter l’attitude « après moi le déluge ! » ? Avec nos familles, nos écoles, la société civile, les décideurs, les entrepreneurs, pourrons-nous assumer ensemble notre responsabilité écologique ? Nous avons reçu en héritage un jardin, allons-nous transmettre un désert ?

Si la crise qui se manifeste au plan écologique est à sa source une crise morale, ne faut-il pas chercher les moyens appropriés pour l’affronter ?

2ème Partie        Vivre la crise avec réalisme et espérance.

Comment traverser cette crise en tant que croyant ? Comment la Parole de Dieu peut-elle nous aider à en sortir plus ancrés et plus heureux dans notre vocation d’homme ?   L’histoire de Noé me semble très éclairante pour nous aujourd’hui. Je vous propose de la relire ensemble[20].

2.1 L’histoire de Noé.

Nous savons aujourd’hui que le récit du déluge et de l’arche de Noé n’est pas un récit historique. L’auteur biblique s’inspire sans doute de récits mythiques babyloniens faisant allusion au souvenir d’inondations désastreuses de la vallée du Tigre et de l’Euphrate, que la tradition avait grossies aux dimensions d’un cataclysme universel. Il se sert de ces récits pour construire une fable originale, un récit symbolique dont le but est de donner un enseignement permanent sur la façon dont le péché de l’homme abîme la création et sur la façon dont Dieu sauve l’homme et le monde créé.

a)      La corruption de l’homme a envahi la terre

Dès le début du récit, l’auteur insiste sur le lien entre la perversité de l’homme et la dégradation de la terre.  D’une part, il dit que « Dieu voit que la méchanceté de l’homme était grande sur la terre, et que son cœur ne formait que de mauvais desseins à longueur de journée » (Gen. 6, 5).  D’autre part il affirme que « la terre se pervertit au regard de Dieu et elle se remplit de violence …la terre était pervertie car tout homme avait une conduite pervertie sur la terre» (Gen. 6, 12-13). Ainsi, c’est avant tout la corruption de l’homme qui se répand comme une inondation, qui envahit la terre et la remplit de violence.

b)      Le déluge – symbole des conséquences du péché de l’homme sur la création

Le récit nous dit un peu plus loin qu’à cause de cette corruption, Dieu va envoyer le déluge pour exterminer tout ce qui vit sur la terre, (Gen. 6, 7.17). Il ne faut pas interpréter le déluge comme une punition de Dieu devant la corruption des hommes. Le déluge est plutôt le symbole des conséquences physiques du péché des hommes sur la création. La réaction de Dieu est plutôt une tristesse devant le désordre créé sur la terre à cause du péché. Le récit exprime cette tristesse sous forme imagée, « Dieu se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre, et il s’affligea dans son cœur » (Gen. 6, 6).  En d’autres termes, Dieu est comme un Papa qui respecte la liberté de son enfant adulte, mais souffre de voir que, par ses mœurs corrompues, cet enfant est en train de transformer en un vaste chaos le beau jardin qui lui avait été confié. Le déluge évoque plutôt la pédagogie de Dieu envers des hommes libres. Dieu permet, malgré la peine que cela lui fait, que les conséquences matérielles de la corruption de l’homme se déroulent sous ses yeux, dans l’espoir qu’il découvre comment en détruisant la création, il est en train de faire son propre malheur. Cette pédagogie vise la conversion de l’homme et non sa destruction.

c)       Dieu confie une mission difficile à Noé

Et voilà qu’au milieu de toute cette corruption, Dieu aperçoit un homme qui est juste et intègre : Noé. Dieu s’entretient avec Noé et le prévient que si les hommes continuent avec ce style de vie pervers et violent, cela aura des conséquences terribles, (Gen. 6, 13-22). Pour sauver l’homme et sauver la création, Dieu  confie à Noé la mission de construire une espèce de grand bateau qu’il appelle une « arche ». Il l’invite à y entrer avec sa famille, et avec une paire de chacune des espèces d’animaux qui sont sur la terre. Cette arche, en flottant sur les eaux du déluge, sera comme une « planche de salut » pour ce monde corrompu qui court à sa ruine sans s’en rendre compte.

Cette mission confiée à Noé est pour le moins étrange. Car Noé est supposé habiter au milieu des terres, et quelqu’un qui construit un grand bateau en pleine campagne, peut intriguer et laisser penser qu’il est devenu fou. En effet autour de Noé, les gens continuaient à mener leur vie pervertie, sans aucun souci. Ils s’étaient habitués à la corruption ambiante. Elle leur semblait « normale ». Ils étaient aveuglés et ne pensaient plus aux conséquences de leurs actes. Au Moyen Age lorsqu’on mettait en scène l’histoire de Noé, on présentait la femme de Noé et ses enfants comme des rebelles qui refusaient d’entrer dans l’arche. Ils ne voulaient pas abandonner leur style de vie, confortable mais corrompu, auquel ils s’étaient habitués. Ils se révoltaient contre Noé qui leur proposait un tout autre style de vie, plus modeste et sans doute plus crotté, dans l’arche. Ils ne voyaient pas la nécessité de ce changement drastique auquel les invitait Noé. Ils pensaient que Noé exagérait, radotait, et que la menace de déluge dont il parlait n’était ni réaliste, ni imminente.

d)     Noé : fidèle à sa mission et solidaire avec la création

Mais Noé persévère et continue à construire son arche, malgré les critiques de son entourage. Il fait confiance à Dieu et « fait tout ce que Dieu lui avait commandé » (Gen. 7, 5). Par son obéissance courageuse, il retrouve cette posture de gérant avisé que Dieu avait recommandée à Adam au jardin de la création et que les hommes avaient abandonnée depuis le péché. Il se met humblement au service de cette création et de tous ceux qui l’habitent. S’il s’agissait seulement de sauver sa peau, il aurait été plus facile pour Noé de construire un bateau pour lui et sa famille seulement, et de ne pas s’encombrer d’une paire de chaque espèce animale. Mais Noé a appris qu’il a besoin des animaux autant qu’ils ont besoin de lui, qu’une relation d’interdépendance les relie étroitement au sein de la création. Il ne peut être sauvé si eux aussi ne sont pas sauvés avec lui. De la même manière, quand sa famille refuse d’entrer avec lui dans l’arche, il aurait pu l’abandonner et s’embarquer tout seul sur sa « planche de salut ». Mais Noé a compris qu’il ne peut pas se sauver tout seul, et qu’il a besoin de sa famille, même rebelle, autant que cette famille a besoin de lui. C’est pourquoi, malgré leur révolte et les critiques qui pleuvent, Noé continue humblement à persuader sa famille d’entrer dans l’arche avec lui. Même s’il est incompris de ses proches, Noé fait confiance à Dieu. Il accepte de vivre jusqu’au bout cette double solidarité avec les humains et avec la création. Il sait que c’est là le chemin du salut pour tous.

e)      Pour sauver la création, Dieu mise sur « un homme juste et intègre »

Il y a quelque chose d’étonnant dans la manière de faire de Dieu telle qu’elle nous est présentée dans ce récit. Dieu « s’affligeait dans son cœur » devant la corruption qui se répandait sur la terre, et il savait que les hommes et tous les êtres vivants qu’il avait créés risquaient d’être engloutis par les conséquences du péché des hommes. Pour sauver ce monde qui va à sa ruine, Dieu s’adresse à une seule personne, Noé, qui, par ailleurs, est isolé et peu accepté dans son milieu. Cela semble être, à première vue, une démarche tout à fait disproportionnée à l’ampleur du défi à relever. Mais ce récit nous enseigne comme dit St Paul que « la folie de Dieu se révèle plus sage que la sagesse des hommes » (1 Cor. 1, 25). Pour accomplir le salut du monde Dieu ne s’appuie pas sur de puissants moyens pour imposer sa volonté. Il cherche plutôt des personnes ayant un cœur ouvert et Il les envoie pour que leur témoignage porte du fruit. En choisissant Noé comme son interlocuteur, Dieu mise sur sa docilité intelligente envers son Créateur, sur son sens de la dépendance mutuelle qui le relie au monde créé, sur sa liberté d’esprit devant ses détracteurs ; et en même temps sur sa solidarité active envers ses frères humains, avec qui il est conscient d’être lié par un destin commun. C’est avec ces qualités que Dieu fait de Noé un instrument de salut en ce temps de crise pour l’humanité et pour la création.  Noé n’est pas un grand technicien, ni un puissant de ce monde, mais simplement un « homme juste et intègre » (Gen. 6, 9). Par son témoignage de vie, il initie, au milieu d’un monde corrompu, comme une nouvelle culture, c’est-à-dire, une nouvelle manière d’être libre et responsable devant Dieu, une nouvelle manière d’être solidaire avec ses frères humains et de prendre soin du monde créé. Dieu sait que cette nouvelle manière d’être dans le monde inaugurée par Noé peut faire école et transformer peu à peu la vie des hommes et de toute la création.

C’est là le sens de l’alliance que Dieu fait avec Noé et ses descendants après le déluge (Gen. 9, 8-17). Après nous avoir montré jusqu’où peuvent nous entraîner les conséquences du péché, Dieu nous invite à prendre un nouveau départ.

2.2. Pertinence de l’histoire de Noé en ce temps de crise écologique

Si nous relisons la crise écologique contemporaine à la lumière de l’histoire de Noé, nous verrons que la Parole de Dieu, qui résonne à travers cette histoire, nous invite à vivre cette crise avec réalisme et espérance.

2.2.1. Réalisme : à la source de la crise, il y a l’égoïsme humain

En premier lieu, l’histoire de Noé nous enseigne une chose simple mais capitale pour sortir gagnants de cette crise. C’est que les dégâts causés aujourd’hui à notre environnement naturel, ont leur source ultime dans le péché de l’homme.

Cela ne veut pas dire bien sûr que tous les entrepreneurs qui ont promu le développement économique et industriel depuis environ un siècle, que tous les hommes politiques qui ont soutenu et encouragé ce type de développement, que tous ceux et celles qui en ont profité d’une manière ou d’une autre, doivent être accusés de péchés personnels, et tenus responsables de la détérioration environnementale que nous connaissons aujourd’hui.

a)      Quand on perd la reconnaissance envers Dieu, les vannes de l’égoïsme s’ouvrent

L’histoire de Noé relue dans notre contexte contemporain, nous enseigne qu’une interconnexion profonde relie notre relation avec Dieu, notre relation avec nos frères humains et notre relation avec le monde créé. Elle confirme en cela une intuition qui s’affirme de plus en plus parmi ceux qui pensent l’écologie aujourd’hui : l’interdépendance. Pour la Bible, cette interconnexion vient du fait que la création n’est pas un donné brut qui est là par hasard. Elle est un don que Dieu nous fait, un héritage précieux qui nous est confié pour être géré en fonction des besoins de tous les habitants de la terre, car ils sont nos frères et nos sœurs. Or, quand nous ne reconnaissons plus la création comme un don de Dieu, mais la prenons comme une simple matière première dont nous pouvons nous servir à notre guise pour faire du profit et pour en jouir le plus possible, alors quelque chose se brise. Les vannes de l’égoïsme s’ouvrent et nous tombons dans les pires excès. Nous perdons le sens de la responsabilité qui nous a été confiée. Nous faisons beaucoup de tort à la création, et à nos frères. Nous glissons facilement sur la pente du « après moi le déluge ».

b)      « Après moi le déluge »

C’est ce qui se passe malheureusement aujourd’hui quand, par exemple, des entrepreneurs, attirés par l’appât de vastes profits immédiats, détruisent massivement d’immenses étendues de forêts amazoniennes. Ils n’ont aucun égard pour les droits et les besoins des populations autochtones, ni aucun scrupule à contribuer substantiellement au réchauffement de la planète.

C’est ce qui se passe aussi chez nous quand des industriels déversent des solvants nocifs dans leur cour ou dans la mer, sans aucun respect pour nos nappes d’eau souterraines, ni pour nos lagons, et sans aucun égard pour les Mauriciens d’aujourd’hui et de demain.

C’est ce qui se passe aussi malheureusement lorsque, séduite par une certaine publicité, nous adoptons un style de vie ultra-consommateur, entraînant gaspillage et pollution. Prenons par exemple les piles électriques, les sacs et les bouteilles en plastique, les téléphones portables et les ordinateurs usagés, que nous jetons à la poubelle sans nous soucier de leurs effets nocifs sur l’environnement. Non seulement nous ne trions que très peu nos déchets mais nous ne pensons presque pas à leur recyclage possible.

2.2.2. Espérance : après le déluge, la paix peut rebourgeonner

L’histoire de Noé nous enseigne aussi que lorsque nous reconnaissons que le petit coin de terre où nous habitons, notre pays, est un héritage précieux reçu de Dieu, alors peu à peu nous prenons au sérieux la responsabilité de le soigner et de le préserver en bon état. Accueillir un don ensemble, c’est accueillir un bien commun dont nous devenons responsables ensemble. De là peut naître « un nouvel art de vivre », une nouvelle culture faite de collaboration, d’initiatives nouvelles et de fraternité. Cette nouvelle culture peut commencer maintenant autour de projets simples mais significatifs, comme le tri des déchets, le recyclage, la rétention de l’eau de pluie, le covoiturage, etc. Alors peu à peu l’environnement devient plus sain, une plus grande solidarité s’installe et la paix sociale recommence à bourgeonner. Alors la colombe de Noé pourrait trouver chez nous un lieu propice pour se poser.

a) La paix – fruit d’une triple réconciliation

Au fond, la paix que nous recherchons tous concerne tous les aspects de notre vie. Cette paix sera toujours le fruit d’une triple réconciliation : avec Dieu, d’abord, vers qui je suis appelé à me retourner comme un enfant plein de reconnaissance pour la création qui m’a été confiée ; avec mes compatriotes aussi, car ils m’ont été donnés comme des frères et des sœurs cohéritiers avec moi de ce petit coin de terre où nous sommes appelés à réaliser ensemble notre développement humain ; avec mon environnement naturel enfin dont j’ai besoin pour me développer sainement, et qui a besoin de moi pour être soigné et protégé.

b)      Dieu nous offre la paix en faisant alliance avec nous

C’est précisément cette réconciliation que Dieu offre à Noé et à sa descendance en faisant une alliance avec eux après le déluge (Gen.9, 8-17). Le signe de l’alliance, l’arc-en-ciel, exprime la fidélité de Dieu dans son engagement permanent en faveur de la paix entre les hommes et avec la création. En tant que phénomène naturel qui revient régulièrement pour assombrir le monde, les  nuages  symbolisent le péché et ses conséquences qui menacent la paix sur la terre. L’arc-en-ciel qui perce l’obscurité des nuages, symbolise la fidélité de Dieu, qui ne se laisse jamais abattre par la méchanceté des hommes, mais lui propose sans cesse son alliance.

Au sein de l’alliance, Dieu s’engage à sauver le monde, non pas malgré nous, mais avec nous.  C’est en entrant en dialogue avec nous, comme il le faisait avec Noé, que Dieu entame son œuvre de salut. Il vient nous chercher au plus profond de la corruption et de la détresse où nous nous sommes embourbés. Il nous invite à lui faire confiance et à commencer, comme Noé, à construire « une arche », c’est-à-dire à adopter un nouveau style de vie qui se démarque nettement de l’insouciance et de la corruption ambiante, que certains voudraient faire passer pour « normale ».

Mais Dieu respecte trop notre liberté pour nous forcer. Il souhaite que nous répondions librement à son invitation. C’est d’abord le cœur de l’homme qu’il veut toucher. Car c’est de là que vient le mal fait aux hommes et à la création. Si le cœur de l’homme se laisse toucher, s’il répond à l’appel de Dieu et entre en alliance avec Lui, alors la création sera restaurée et la paix reviendra sur la terre.

C’est pourquoi, Dieu, avec une patience à toute épreuve, ne cesse de nous inviter, comme Noé, à inventer un nouvel art de vivre. Dieu croit en notre capacité de nager à contre-courant. Il croit que chaque petit pas que nous faisons dans ce sens peut ouvrir un chemin d’espérance, qui invitera d’autres à se mettre en marche. Dieu nous fait confiance. Il nous offre une alliance avec Lui. Accepterons-nous la main qu’il nous tend ?

2.3. Le Christ confirme l’alliance avec Noé et la mène à son accomplissement

Plusieurs d’entre vous pourraient se demander : l’histoire de Noé c’est bien. Mais les évangiles, parlent-ils d’écologie ? Le Christ a-t-il quelque chose à voir avec la sauvegarde de la création ? Il n’est pas possible dans le cadre de cette lettre de répondre à cette vaste question. Mais je voudrais vous offrir quand même quelques indications qui j’espère pourront vous éclairer[21].

a)      Dès les premières lignes de l’Evangile de St. Jean, le Christ nous est présenté comme l’unique Parole de Dieu, qui exprime parfaitement ce qui est dans le cœur de Dieu, c’est-à-dire son amour gratuit pour les hommes (Jn 1, 1-14). Cette unique Parole de Dieu nous dit St Jean, a créé toutes choses et s’est faite chair pour visiter les hommes qu’elle avait créés. La Parole de Dieu faite chair en Jésus exprime ainsi pour nous la motivation d’amour profond qui a présidé à la création. Sur le visage humain de Jésus venu habiter parmi nous, nous voyons les traits du visage de Dieu, le Père Créateur du ciel et de la terre. Le psaume 8 exprime bien l’émerveillement de l’homme devant son Créateur qui vient le rencontrer comme un frère pour le sauver : « A voir ton ciel, ouvrage de tes doigts, la lune et les étoiles que tu fixas, qu’est-ce que l’homme que tu t’en souviennes, le fils de l’homme que tu viennes le visiter ? ».

b)      Le Christ est présenté aussi par St. Paul comme le sauveur non seulement des hommes, mais aussi de toute la création (Col.1, 19-20 ; Eph. 1, 9-10). C’est comme si le Christ n’oublie pas que les hommes qu’il veut sauver sont liés à la création par une dépendance mutuelle inextricable. Les êtres humains ne peuvent s’empêcher d’entraîner la création avec eux dans la corruption où ils s’enfoncent comme dans le salut dont ils sont bénéficiaires. Le salut que le Christ nous apporte concerne donc notre relation avec Dieu, notre relation avec nos frères et notre relation avec la création et donc la création elle-même. Notre lien avec la terre, cette maison commune que Dieu a donnée aux hommes pour vivre ensemble, est fondamental. Il est appelé à durer jusque dans le salut que le Christ nous a promis de réaliser par la résurrection des morts.

c)       C’est dans cet esprit que St. Paul, St. Pierre et St. Jean reconnaissent tous que la création sera associée  pour toujours au salut initié par la mort et la résurrection du Christ. Paul parle de la création  qui gémit, en attente d’être elle aussi libérée de la servitude de la corruption à laquelle l’homme pécheur l’a soumise (Rm. 8,19-22). Pierre et Jean parlent eux, d’une « nouvelle terre et de nouveaux cieux » où la justice habitera et que nous devons attendre selon sa promesse ( Apoc. 21,1-4 ; 2 P. 3,13)

d)     Ce salut global est présenté comme une « réconciliation » de tous les êtres créés. Et le Christ la réalise « en faisant la paix par le sang de sa croix » (Col. 1, 20). En refusant de dominer en maître, mais en acceptant de servir jusqu’à donner sa vie, le Christ ouvre pour nous le chemin du salut. Le témoignage du Christ serviteur, un peu comme celui de Noé, n’a pas été acclamé par tous. Au contraire il a été rejeté jusqu’à la mort et la mort sur la croix. Mais en le ressuscitant d’entre les morts, Dieu le Père montre que c’est le Christ qui est dans la vérité, que c’est en devenant serviteur jusqu’à la mort qu’il sauve « faisant ainsi la paix par le sang de sa croix » (Col 1, 20).

e)      Dans son enseignement, Jésus, emploie l’expression « Royaume de Dieu » pour désigner cette paix globale, intégrée, issue de la triple réconciliation de l’homme avec Dieu, des hommes entre eux et de l’homme avec la création. C’est la paix messianique tant attendue par les juifs de sa génération, et qu’il annonce comme une promesse au cours de sa prédication publique. Mais tout en ouvrant de larges horizons avec la promesse d’une paix globale dans son Royaume, Jésus insiste aussi sur le fait que la paix du Royaume commence dès maintenant dans de petites initiatives de la vie quotidienne qui sont à la portée de tous. Il nous en donne beaucoup d’exemples en valorisant de simples gestes comme accueillir un enfant, aller à la recherche d’une brebis perdue, déposer une petite offrande dans un tronc, semer une petite graine porteuse d’avenir, donner à boire à une personne qui a soif, à manger à une personne qui a faim, visiter un malade, un prisonnier.

3ème Partie : Avancer ensemble, pas à pas

Devant l’immensité des défis écologiques de notre temps, nous nous demandons souvent, que pouvons- nous faire ? Les petites choses qui nous sont suggérées, comme économiser l’eau ou trier les déchets, peuvent paraître insignifiantes, inutiles mêmes. Nous sommes vite tentés de dire « à quoi bon ? ». Toutefois, le problème écologique n’est pas purement technique. Il ne se résout pas seulement par une somme de choses à faire et que nous pouvons programmer. Il s’agit plutôt de tout un art de vivre ensemble, plus humain, plus respectueux de notre environnement, plus soucieux du bien commun de tous ceux qui y vivent, plus responsable devant Dieu qui nous l’a confié. Or, la promotion d’un art de vivre ne se fait pas simplement à travers des lois plus adaptées et appliquées plus sévèrement (toutes nécessaires qu’elles soient), ni par des incitations économiques plus avantageuses (toutes utiles qu’elles soient). Un art de vivre se répand d’abord et avant tout par le témoignage de vie, par la force tranquille de convictions profondes, partagées gratuitement. L’amour obtient ce que les lois n’arrivent pas à obtenir.

C’est pourquoi je voudrais saluer ici la contribution inestimable de tous ceux et celles d’entre vous qui ont cru à l’importance de ce renouveau écologique pour notre temps. Chacune de vos multiples initiatives au sein de votre famille, de votre ONG, à l’école, au travail ou dans votre voisinage, est précieuse. Que ce soit l’économie dans la consommation de l’eau et de l’énergie électrique, le covoiturage, le tri des déchets et leur recyclage, même à petite échelle, ou encore l’entraide entre voisins pour a production de fruits, et légumes, des campagnes de nettoyage d’un village, d’une plage ou d’une rue, ce sont autant de semences de vie nouvelle dont la valeur va bien au-delà de leur importance technique. Chacune contribue à l’élaboration de cette nouvelle culture plus fraternelle dont nous avons tant besoin aujourd’hui, et à laquelle Dieu appelait déjà Noé en l’invitant à construire son arche au milieu du désert. Comme cela est arrivé à Noé, des gens ne croiront peut-être pas à l’importance de ce que vous faites, ou ne répondront peut-être pas à vos appels. Même si vous avez l’impression de prêcher dans le désert, ne vous découragez pas. C’est vous qui montrez le chemin. C’est vous qui par votre persévérance m’avez poussé à réfléchir sur le sujet, et finalement à écrire cette lettre. Il faut croire à la force d’attraction de la vérité, et à la contagion de l’amour.

C’est dans cet esprit que je voudrais transmettre ici l’ensemble des suggestions qui m’ont été faites depuis janvier, et qui peuvent contribuer à développer entre nous ce nouvel art de vivre écologique[22].

a)      D’abord autour de l’eau. Avec la pénurie d’eau potable qui se fait sentir à cause de la demande sans cesse croissante, tout effort pour économiser l’eau est devenu une responsabilité civique, un geste de solidarité nationale par excellence. A l’exemple de nos frères Rodriguais, de plus en plus de Mauriciens commencent à capter le maximum d’eau de pluie de leurs toits[23]. J’ai commencé moi aussi un projet dans ce sens à l’évêché. Cette eau peut servir à arroser nos jardins, à laver nos voitures, et même, moyennant certaines modifications, à faire fonctionner nos toilettes. Un autre geste civique par rapport à l’eau serait de planter ou de replanter le maximum d’arbres dans nos cours, dans nos jardins publics, au bord des cours d’eau, dans les cours d’Eglise, de Temple, de Mosquées. Ces arbres, qui attirent la pluie dont nous avons tellement besoin, seraient en quelque sorte un leg que nous ferions aux Mauriciens de la prochaine génération.

b)      Ensuite autour des sources d’énergie. Notre électricité est produite à 80% avec du diesel ou du charbon, qui en brûlant émettent dans l’atmosphère du gaz carbonique qui contribue au réchauffement climatique. Ce réchauffement est un des éléments les plus destructeurs de la vie sur la terre. D’où l’importance de toutes les mesures qu’on peut prendre localement pour économiser de l’électricité à la maison, au bureau, à l’école, ou encore pour en produire avec d’autres sources d’énergie (comme le soleil, le vent, le biogaz, la bagasse etc.). Le gouvernement donne déjà quelques incitations pour encourager des producteurs privés à petite échelle. Mais il semble qu’il pourrait aller plus loin encore. L’idée n’est pas d’ouvrir les vannes pour que les gens fassent du business avec des subventions du gouvernement, mais que les gens puissent contribuer à la cause écologique tout en rentrant dans leurs frais.

c)       Les voitures, les avions et tout ce qui roule avec de l’essence émettent aussi ce même gaz carbonique, avec les mêmes effets nocifs sur le réchauffement climatique. D’où l’importance de développer de nouvelles habitudes comme le covoiturage, une plus grande utilisation des transports publics, le retour au vélo ou à la marche à pied pour les petites distances.

d)     Autour de la gestion des déchets il y a aussi de nouvelles habitudes à prendre. Comme la grande majorité des déchets peuvent être recyclés, la solution la plus responsable est de s’astreindre à trier nos déchets et à les faire recycler. Malheureusement, malgré les efforts louables de plusieurs ONG pour conscientiser le public et offrir des moyens pratiques pour le tri et le recyclage, trop nombreux encore sont ceux qui continuent à polluer les espaces publics avec leurs déchets. Chacun de nous peut commencer au moins par mettre de côté ses déchets organiques et en faire du compost ;  continuer en mettant de côté les bouteilles et les sacs en plastique qui peuvent déjà être recyclés à Maurice. Ce qui manque cruellement cependant c’est un système d’organisation centrale assumé par une autorité compétente qui coordonnerait ces efforts. Nous demandons clairement au gouvernement d’offrir un leadership en ce sens à travers l’une de ses agences. Cela permettrait à beaucoup de citoyens de participer avec joie à l’assainissement de l’environnement de notre île, en goûtant en même temps à une solidarité fraternelle retrouvée au raz des pâquerettes.

e)      La crise alimentaire qui se profile à l’horizon est très préoccupante d’autant plus que nous savons qu’elle affectera les pauvres bien davantage. A l’île Maurice, nous dépendons encore beaucoup de l’étranger pour l’importation de notre nourriture. Malgré des mesures prises au ministère de l’agriculture, dans certaines entreprises et par certaines ONG, comme Caritas ou le MAA[24], il y a encore beaucoup de chemin à faire pour produire davantage ce que nous consommons. Des essais intéressants sont faits par des particuliers ou par certaines institutions pour produire des légumes frais sur nos toits plats. La même tendance se dessine en Inde[25]

f)       Beaucoup d’entre vous l’ont dit : l’art de vivre écologique se diffuse aussi et surtout par l’éducation. Il ne s’agit pas simplement d’introduire l’« écologie » comme sujet académique dans le cursus scolaire, mais plutôt d’inviter la communauté scolaire à développer des habitudes plus écologiques. Des habitudes prises à l’école pourraient déteindre sur la vie familiale. C’est pourquoi nous lançons ces jours-ci, dans les collèges secondaires catholiques, un projet qui vise à apprendre aux enseignants comme aux élèves à mesurer l’empreinte écologique de leur collège. L’empreinte écologique est un moyen trouvé par des écologistes pour mesurer la demande que fait notre style de vie aux ressources naturelles, fournies par la terre pour que nous puissions fonctionner. La plupart du temps, quand nous mesurons notre empreinte écologique, nous prenons conscience des demandes exagérées que fait notre style de vie aux ressources naturelles de notre environnement[26]. Fort de cette prise de conscience, ce serait la responsabilité du collège de décider des mesures à prendre pour réduire cette empreinte. Je souhaiterais ensuite étendre progressivement ce projet à toutes les cures et toutes les institutions du diocèse, à commencer par l’évêché.

Les écoles primaires catholiques seront invitées à enseigner aux enfants à produire des légumes dans un petit jardin qui serait arrosé par l’eau de pluie captée des toits de l’école, et fertilisé par du compost produit à partir des déchets de l’école.

g)      Puisque nous, les chrétiens, entrons en carême, certains d’entre vous m’ont suggéré de penser à des formes nouvelles de jeûne et d’ascèse pour temps de crise écologique.  Ici l’exemple de Saint François d’Assise peut beaucoup nous inspirer. A son école nous apprenons que l’ascèse ne vise pas à faire de nos privations une espèce de performance qui serait versée au compte de nos mérites et qui pourrait nous obtenir je ne sais quelle faveur de Dieu. Selon St François, l’ascèse authentique consiste plutôt à adopter une vie simple, qui intègre une proximité avec les pauvres, un respect de la nature et un engagement pour la paix. Une ascèse ou un jeûne écologique pourrait prendre une des formes esquissées plus haut (paragraphe a) à f)). Certaines de ces formes de jeûnes auraient en plus l’avantage de nous rapprocher de personnes que nous  rencontrons  rarement et de goûter à une fraternité inédite et bienfaisante[27].

h)      Le jeûne hebdomadaire, tel que le recommande l’Eglise durant le carême, garde aussi tout son sens en ces temps de crise écologique. Ce jeûne consiste à ne faire qu’un repas dans la journée et à nous contenter d’une légère collation le matin et le soir. Au delà des privations auxquelles nous consentons, ce jeûne vaut surtout par la solidarité qu’il encourage envers nos nombreux frères humains qui, à longueur d’année, ne font pas plus qu’un repas par jour. En fait toute ascèse veut nous rendre plus attentif au fait que « l’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Mt 4, 4). Elle vise à nous rendre plus accueillants au travail de l’Esprit qui veut nous transformer en hommes plus libres, et plus ouverts à la fraternité humaine.

i)         Last but not least », il ne faut pas oublier l’importance de la prière contemplative pour développer en nous une responsabilité écologique[28]. Quand on doit faire face à une crise, on se demande spontanément ce qu’on peut faire pour apporter sa contribution. Or, comme on l’a vu plus haut, la crise n’est pas tellement dans la nature, mais dans le cœur de l’homme. La prière contemplative est une façon de demander à Dieu de transformer nos cœurs. De fait cette prière nous conduit à reconnaître la nature comme un don de Dieu, et à nous émerveiller devant l’amour gratuit qui a présidé à ce don. Elle nous fait devenir réceptifs, plus reconnaissants pour ce que nous avons tendance à prendre pour acquis. Cette gratitude transforme notre regard sur la création, nous rend plus respectueux envers elle. Elle tend aussi à développer en nous une solidarité avec ceux qui souffrent parce qu’ils n’ont pas accès à leur part équitable des biens de la création.

Conclusion

Toute crise est non seulement l’émergence d’une difficulté que nous devons confronter, mais aussi une occasion que nous devons saisir. C’est pourquoi je vous invite à approcher cette crise écologique, non seulement comme un problème qui a besoin de solutions, mais aussi et surtout, comme une formidable opportunité qui nous est donnée de nous retrouver ensemble, Mauriciens de toutes cultures et de toutes religions, autour d’un projet commun d’importance fondamentale pour notre pays. Nous avons tous reçu un patrimoine commun, notre environnement naturel, et nous partageons tous la même responsabilité de le soigner et de le protéger, afin de pouvoir le léguer en bon état aux générations futures de Mauriciens.

Nous avons un long chemin à faire pour développer ce nouvel art de vivre écologique. Mais au fond, faire un chemin ensemble est aussi important que d’atteindre le but du chemin. Car en partageant les mêmes difficultés, en respectant le rythme de chacun et en accueillant sa contribution unique, en travaillant avec la même passion, en communiant à la même espérance, nous développerons peu à peu ce goût de vivre ensemble comme un vrai peuple, dans la paix.

O Seigneur envoie ton Esprit, qu’il renouvelle la face de la terre.


[1] Vers une démocratie écologique, Dominique Bourg et Kerry Whiteside, Editions du Seuil et la République des Idées, octobre 2010, p. 9.

[2] Id, p. 12

[3] Changer le Monde, un guide pour le citoyen du XX1e siècle, Editions de La Martinière, p. 16

[4] Id

[5] L’Express, 16 février 2011, Faim.

[6] “Challenges and Choices for Global Sustainability” commented by Tim Alfred in “The Tablet”, 29 janvier 2011, pp. 6-7

[7] C. Spelman et Andrew Mitchell respectivement “Environment Secretary” et “International Development Secretary” au Royaume Uni, commented byTim Alfred in “The Tablet”, 29 janvier 2011, pp. 6-7

[8] Ten Commandments for the environment, Pope Benedict XVI speaks out for creation and justice, Woodeene Koenig-Bricker, pp. 107-109

[9] L’Express, 6 février 2011, Patrimoine marin en danger.

[10] Le Mauricien, 12 février 2011 – Le Ministère de l’Environnement prévoit 40m pour réhabiliter seulement 4 lieux : Flic-en-Flac, Mont Choisy, Grand-Baie et Pointe-aux-Sables.

[11] Le Mauricien, 4 février 2011, Le FMI : Carbon Tax contre embouteillage.

[12] L’Express, 2 novembre 2010, Eau : vers une île Maurice à sec.

[13] L’Express, 11 février 2011, Last chance saloon for ESAs

[14] Vers une démocratie écologique, Dominique Bourg et Kerry Whiteside, Editions du Seuil et la République des Idées, octobre 2010, p. 9.

[15] Id,  pp. 15-16.

[16] Changer le Monde, un guide pour le citoyen du XX1e siècle, Editions de La Martinière, p. 18.

[17] Des exemples passionnants sont donnés dans le livre « Changer le Monde, un guide pour le citoyen du XXIe siècle, Editions de La Martinière ».

[18] Vers une démocratie écologique, Dominique Bourg et Kerry Whiteside, Editions du Seuil et la République des Idées, octobre 2010, p. 18.

[19] Id, p. 11

[20] Cette section s’inspire beaucoup du commentaire biblique du Père Francesco Rossi de Gasperis s.j. dans son livre « Sentieri di Vita », Edition Paoline, 2005, Vol I, pp 309-344.

[21] Cette section s’inspire beaucoup du livre de Kathleen Fischer “Loving Creation”, spécialement le chapitre 7 “We have here a lasting home”.

[22] Toutes ces suggestions sont en cohérence avec la « Charte Maurice Environnement » publiée par la « Plateforme Maurice Environnement », qui regroupe un grand nombre d’Associations ou de citoyens indépendants.

[23] L’Express, 23 février 2011, Des maisons adaptées pour récupérer l’eau de pluie.

[24] Caritas et le MAA (Mouvement Autosuffisance Alimentaire) accompagnent des familles pauvres dans leurs efforts pour produire des fruits, des légumes et des œufs pour leur consommation personnelle

[25] L’Express, 20 février 2011, Retour à la terre au cœur de la cité.

[26] L’empreinte écologique comptabilise (en terme d’”hectares globaux”, ou “ha”) cette demande que nous faisons constamment à la nature. Par exemple, en 2007, on estimait que dans un monde équitable et durable, l’empreinte écologique de chacun devrait représenter 1.8 ha. En d’autres termes, quand nous divisons la part disponible des ressources de la planète par le nombre de personnes qui en ont besoin pour vivre, chacun devrait pouvoir satisfaire à ses besoins vitaux avec 1.8 ha. de ressources.  Malheureusement, nous consommons déjà au niveau mondial 2.7 ha par personne. En même temps, toujours en 2007, l’empreinte écologique moyenne des mauriciens était de 4.6 ha. Ce qui veut dire que déjà, à Maurice, avec notre niveau de vie actuel, nous vivons largement au-dessus de nos moyens écologiques, et contribuons ainsi à l’épuisement de la planète.

[27] Loving Creation, Christian Spirituality, Earth-Centered and Just, Kathleen Fischer, Paulist Press, 2009 pp. 138-151.

[28] Id, pp. 107-120

Event Date:

2017-04-26 12:02:29

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