Chers frères et sœurs,
Le 24 novembre dernier, lors de la messe de clôture de l’Année de la foi à Marie-Reine-de-la-Paix, je vous invitais à prendre le chemin Kleopas. C’est une invitation à nous mettre en route pour partager la joie de l’Evangile. Au même moment, le Pape François, à Rome, exhortait toute l’Eglise à se laisser gagner par la joie de l’Evangile. Il nous appelait à ne pas nous préoccuper seulement de « garder la foi » mais aussi de la partager. Il invite « chaque Eglise particulière à entrer dans un processus résolu de discernement, de purification et de réforme » (no. 30). Cet appel du Pape nous encourage beaucoup et nous donne une motivation supplémentaire pour nous remettre en route. Le chemin Kleopas sera notre manière à nous de répondre à son appel.
Déjà, beaucoup d’entre nous avons fait un bout de chemin.
Je pense à ce groupe de personnes qui, touchées par l’amour de Jésus, vont visiter régulièrement des familles de squatters ; certains accompagnent les enfants pour les aider dans leurs études ; d’autres sponsorisent un jeune garçon pour des études techniques ; au fur et à mesure qu’il prend goût à ses études, ce garçon devient un « role model » pour ses camarades.
Je pense à ce groupe de femmes, touchées par le regard de Jésus, et qui vont à la rencontre de couples qui vivent ensemble depuis longtemps, pour les aider à recevoir le sacrement de mariage.
Je pense aussi à ce groupe d’hommes transformés par leur rencontre personnelle avec le Christ et qui partent visiter leurs camarades du village voisin pour les inviter eux aussi à rencontrer Jésus Christ.
C’est toujours la joie de l’amitié retrouvée avec Jésus qui pousse ces hommes et ces femmes à aller partager cette joie avec leurs frères et sœurs. Voilà le but du chemin Kleopas : s’ouvrir davantage à la grâce de la mission et connaître le bonheur d’être envoyé personnellement par le Christ pour partager de la joie de l’Evangile.
Cependant il faut reconnaître que nous ne savons pas toujours comment nous y prendre pour annoncer l’Evangile de telle façon qu’il transforme nos vies. Nous désirons tous que l’Evangile rende nos familles plus unies, nos paroisses plus fraternelles, nos écoles plus rayonnantes et notre société plus juste et plus solidaire. Mais l’attrait des plaisirs faciles, la corruption et l’injustice restent profondément ancrés dans notre société et ne se laissent pas facilement déraciner. Cela fait souvent obstacle à l’accueil de l’Evangile.
Et pourtant nous sentons chez nos contemporains une immense soif de vivre autrement, plus fraternellement, avec un peu plus de justice et de solidarité. Et cela nous interpelle sérieusement. Comment faire pour parler de l’Evangile de telle façon que sa force de transformation rejoigne cette soif ?
D’où l’importance de nous mettre en route sur le chemin Kleopas pour chercher ensemble comment mieux annoncer Jésus Christ aujourd’hui. Pour mieux comprendre comment avancer sur ce chemin, je vous propose de méditer ensemble cette rencontre de Jésus avec Kleopas sur la route d’Emmaüs (Luc 24). Regardons comment Jésus s’y est pris pour faire découvrir à Kleopas et à son compagnon la bonne nouvelle de l’Evangile et comment cette rencontre a provoqué un élan pour qu’ils annoncent l’Evangile à leur tour.
Lorsque, 3 jours après sa mort, Jésus rencontre Kleopas et l’autre disciple sur le chemin d’Emmaüs, ils sont meurtris par la condamnation de Jésus à mort et son exécution sur la croix. Kleopas et son ami avaient été touchés par les enseignements de Jésus, par sa manière d’être proche des pauvres, des malades et des rejetés de la société. Ils avaient admiré son courage lorsqu’il n’hésitait pas à dénoncer l’indifférence des riches et l’injustice des puissants. Son entrée triomphale à Jérusalem quelques jours avant son procès avait soulevé une immense espérance. Les gens sentaient qu’avec Lui quelque chose allait se passer. Et voilà que d’un coup tous ces espoirs s’étaient effondrés. Jésus avait été accusé et condamné injustement par Pilate sous la pression des autorités religieuses juives. Il avait été soumis au supplice le plus dégradant qu’on pouvait imaginer, le crucifiement.
Kleopas et l’autre disciple s’étaient attachés à lui. Sa mort brutale les bouleversait, ils étaient plongés dans un grand désarroi. Comme beaucoup de Juifs de leur époque, ils avaient cru que Jésus allait répondre à l’attente du peuple, chasser les Romains et restaurer la Royauté en Israël. Mais voilà qu’avec la mort de Jésus, leurs rêves s’écroulaient. Découragés, ils quittent Jérusalem et rentrent chez eux à Emmaüs. Ils cherchent sans doute à se réfugier dans la tranquillité de leur maison à la campagne, loin des dangers de la ville où Jésus vient d’être exécuté. Mais ils ne sont pas tranquilles. Ils ont entendu parler de ces femmes qui sont allées au tombeau de Jésus et l’ont trouvé vide. Cela les préoccupe d’autant plus que la rumeur court selon laquelle des anges sont apparus aux femmes près du tombeau pour dire que Jésus était vivant. Ils sont brouillés. Ils préfèrent se retirer.
1.2. Notre désarroi aujourd’hui
Le désarroi de Kléopas et de l’autre disciple au lendemain de la mort de Jésus nous renvoie à nos propres questions, à notre propre désarroi peut-être, devant la difficulté à faire accueillir l’Evangile dans le monde d’aujourd’hui. Nous avions cru nous aussi qu’après tant d’énergie et de générosité dépensées pour annoncer l’Evangile à l’île Maurice depuis tant d’années, notre société en serait plus transformée qu’elle ne l’est aujourd’hui. Mais bien vite les difficultés nous rattrapent. La résistance à l’Evangile est toujours là, bien ancrée. Et secrètement on peut se demander si cela vaut la peine de recommencer encore autre chose avec le projet Kleopas. Sommes-nous tentés comme Kleopas de nous retirer dans le confort de notre maison, loin des soucis, des tensions et des défis de la mission ? Le Pape François nous met en garde contre le risque de glisser sur la pente du défaitisme. « Une des plus sérieuses tentations qui étouffent la ferveur et l’audace est le sens de l’échec, qui nous transforme en pessimistes mécontents et déçus au visage assombri » (No. 85).
Jésus se fait proche de Kleopas
2.1. Alors que Kleopas et l’autre disciple sont troublés, au même moment, Jésus, lui, est rempli de la joie de sa vie nouvelle de ressuscité. Pourtant il s’approche d’eux avec une discrétion déconcertante. Il ne claironne pas, ni ne s’impose. Il n’emploie pas de grands moyens. Il se fait un compagnon anonyme, silencieux, attentif. Il les laisse déballer leur déception. Il écoute et reste simplement avec eux dans leur désarroi. Il se fait tellement simple que Kleopas et l’autre disciple, dans leur trouble, ne le reconnaissent pas.
Lorsqu’il parle enfin, ce n’est pas pour se faire reconnaître de manière fracassante. C’est plutôt pour faire réfléchir. Tout doucement il conduit Kleopas et l’autre disciple à voir, sous une lumière nouvelle, les événements récents qui les troublent. « Ne fallait-il pas que le Christ endurât ces souffrances pour entrer dans sa gloire ? ». Cette condamnation injuste, ces souffrances et cette mort atroces leur semblaient être un échec. Mais elles peuvent aussi être comprises comme des signes d’un amour fou, l’amour de celui qui va jusqu’à donner sa vie pour eux. Cette croix qu’ils ont prise pour un échec, peut aussi être vue comme le triomphe d’un amour fidèle jusqu’au bout, au cœur des pires souffrances. « N’avez-vous pas compris ? Semble dire Jésus. Pourquoi êtes-vous si lents à croire à l’amour ? »
Pour éclairer les événements troublants de sa passion, Jésus fait appel aux Ecritures. Il passe en revue l’histoire de Moïse et des prophètes pour montrer qu’à chaque fois qu’il y a des coups durs ou des défis qui paraissaient impossibles à relever, Dieu redit à son peuple qu’Il est avec eux. Par exemple, à Moïse qui a peur d’aller trouver Pharaon pour lui demander de laisser partir le peuple, Dieu dit « Je serai avec toi… » (Ex. 3,12) ; à Josué qui va prendre la relève, et conduire le peuple dans la Terre Promise, Moïse rappelle, « C’est le Seigneur qui marche devant toi, c’est Lui qui sera avec toi, Il ne te délaissera pas, et ne t’abandonnera pas » (Dt. 31,8) ; à Jérémie qui dit qu’il ne peut pas être prophète parce qu’il ne sait pas parler, Dieu répond, « N’aie aucune crainte, car je suis avec toi pour te délivrer » (Jer. 1,8).
Jésus relit l’histoire de son peuple pour rappeler qu’au creux de l’épreuve, Dieu s’est toujours engagé à rester « avec eux ». Au moment où Jésus, de fait, est « avec Kleopas et l’autre disciple » dans leur découragement, il manifeste simplement cette présence de Dieu « avec eux », sur leur route. Mais Il ne les bouscule pas. Il leur donne le temps dont ils ont besoin pour que leurs yeux s’ouvrent, et qu’ils le reconnaissent.
Encore une fois, Jésus reste humble et pauvre dans sa manière de leur révéler la présence fidèle de Dieu avec eux sur le chemin. Il ne promet rien de fracassant. Il ne donne pas des solutions toutes faites à leur problème. Il se donne lui-même. C’est le don d’un pauvre, qui est à la fois le don le plus précieux qu’il pouvait leur faire.
2.2. Jésus se fait proche de nous aujourd’hui
Jésus agit encore envers nous aujourd’hui comme il agissait jadis envers Kleopas et l’autre disciple. Il est le même hier, aujourd’hui et demain. Nous aussi nous pouvons être déçus devant l’incapacité de l’Eglise et de l’Evangile qu’elle annonce, de faire advenir un monde plus juste et plus fraternel. Nous pouvons nous aussi avoir l’impression que Jésus est un perdant et que ceux qui gagnent, ce sont plutôt des gens comme les trafiquants de drogue ou des corrompus. Le souci du bien commun, ou du développement humain des plus pauvres que l’Evangile recommande n’a pas l’air de faire le poids. Nous pouvons nous sentir démunis nous aussi devant l’immoralité et la violence qui mettent en péril la stabilité des familles, ou devant la course à l’argent facile, qui étourdit notre société et fait fouler aux pieds les valeurs qui seules peuvent lui donner un minimum de dignité.
Même si, comme Kleopas, nous sommes tentés d’être découragés. Jésus ne nous juge pas. Il nous rejoint plutôt là où nous sommes rendus sur ce chemin et nous écoute. Il connaît notre déception et souffre avec nous. Il nous interroge seulement comme il interrogeait Kleopas. Pourquoi sommes-nous si lents à croire en son amour, si lents à croire qu’il est là, avec nous, sur notre chemin ? Pouvons-nous l’écouter à notre tour, quand il nous parle à travers l’Ecriture ? Pouvons-nous l’entendre quand il nous rappelle qu’il a pris le risque d’être broyé lui aussi par l’injustice et la corruption des hommes, précisément pour être avec nous, pour partager notre vulnérabilité, et ce gratuitement, par amour ? Nos yeux peuvent-ils s’ouvrir sur l’amour fidèle qu’il nous a témoigné jusqu’à sa mort sur la croix ? Cette présence discrète avec nous sur la route peut nous paraître pauvre et de peu de poids. Mais si, comme Kleopas, nous nous laissons toucher, son amour nous suffira, sa puissance se déploiera dans notre faiblesse (2 Cor 12, 9).
3.1 Après avoir écouté longuement ce mystérieux compagnon de route qui leur expliquait les Ecritures, voilà que Kleopas et l’autre disciple arrivent devant l’entrée de leur maison. Jésus s’efface et veut les laisser rentrer tranquillement chez eux. Mais ils ont été touchés par les paroles lumineuses de cet homme et ils ont soif de l’entendre davantage. Ils poussent alors un cri du cœur, « reste avec nous Seigneur, car déjà le jour baisse ». Et voilà qu’ils lui préparent un repas de fortune, comme on en fait quand il y a un visiteur inattendu. Et c’est chez eux, à table, au moment où Jésus prend le pain, qu’Il le bénit, le rompt et le leur donne, que leurs yeux s’ouvrent et qu’ils Le reconnaissent.
On pourrait s’attendre à ce que Jésus ressuscité se manifeste de façon éclatante. Or, Jésus est reconnu par Kleopas à partir du moment où il accepte simplement son invitation, qu’il se met à table avec eux et qu’il rompt le pain. Quoi de plus humain, de plus familier que ce partage ? Sur la route Jésus les avait d’abord écoutés humblement et puis seulement il avait parlé. De même ici, Jésus accueille l’invitation qui lui est faite et puis seulement il dit la bénédiction et partage le pain. Le signe de Jésus ressuscité est un signe de pauvre : recevoir avec simplicité ce que l’autre vous offre ; et quand il donne à son tour, il se donne lui-même. C’est dans la simplicité d’un tel partage que Jésus se fait reconnaître.
Mais aussitôt reconnu, Jésus disparaît. Comme pour suggérer qu’Il n’est plus avec eux de la même façon qu’Il l’était avant sa mort. Il est avec eux, oui, mais ils ne peuvent plus décider où et quand ils pourront le voir. Désormais, c’est Lui qui se donnera à entendre et à voir au travers des signes simples qu’Il leur laisse. Quand deux ou trois se rencontrent et s’écoutent, il est là au milieu d’eux, comme il l’était sur la route avec Kleopas. Sa Parole vivante sera désormais entendue à travers les Ecritures, lues et méditées avec amour. Comme il l’a fait à table chez Kleopas, désormais il se fera aussi reconnaître à travers la fraction du pain dans l’Eucharistie : ce sera le signe sacramentel du don qu’il a fait de sa vie et le signe de sa présence réelle, à nos côtés, tous les jours jusqu’à la fin des temps.
Les signes simples que Jésus choisit pour se faire reconnaître touchent Kleopas et l’autre disciple. Et peu à peu, ceux-ci renoncent au rêve grandiose d’un Messie qui allait conquérir le pays, le redresser, pour qu’on puisse enfin y vivre en paix. Ce rêve s’évanouit pour laisser la place à quelque chose de plus simple mais de plus précieux : l’amitié de Jésus, sa vie donnée, sa présence fidèle avec eux sur la route. Cette présence les nourrit et les remplit de joie. Elle leur donne une grande force d’aimer. C’est ainsi qu’ils sortent en pleine nuit pour aller rejoindre leurs frères et sœurs à Jérusalem.
3.2. Jésus se fait reconnaître aujourd’hui
Ce Jésus humble qui rentre chez Kleopas et prend un repas avec lui, est le même Jésus qui nous rejoint aujourd’hui et frappe discrètement à notre porte : « Voici que je me tiens à la porte et je frappe, si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui pour prendre un repas avec lui » (Apoc. 3,20). Saurons-nous entendre aujourd’hui la voix de Jésus qui nous parle à travers l’Evangile ? Saurons-nous lui ouvrir largement la porte de notre maison comme Kleopas, qui disait, « Reste avec nous Seigneur » ? Saurons-nous enfin reconnaître l’amour qui s’exprime à travers la fraction du pain dans nos Eucharisties ? Notre cœur se laissera-t-il gagner par la joie de l’Evangile aujourd’hui ?
La rencontre personnelle avec Jésus ressuscité est le déclic qui nous pousse à sortir pour aller rencontrer les frères. La joie qui nous envahit est si forte que nous désirons la partager. Mais en même temps, Jésus nous apprend à vivre la mission humblement. Il nous invite à passer, comme Kleopas, de nos rêves d’un messie puissant qui redresserait rapidement les disfonctionnements de notre société, à l’accueil de cet humble pèlerin qui vient nous rejoindre sur notre route afin que nous puissions le rejoindre dans sa manière d’aimer. Apprenons de lui à annoncer l’Evangile comme des pauvres avec la sagesse du semeur. Celui-ci ne contrôle pas l’efficacité de ce qu’il sème mais il persévère parce qu’il fait confiance à la fécondité de la semence. Semez, oui, et semez à temps et à contre temps, mais sachez que la meilleure des semences, si elle tombe dans la rocaille ou dans les broussailles, peut être étouffée. Ne vous étonnez pas. Sachez seulement qu’au dessous des pierres les plus dures et des épines les plus épaisses, se cachent des coins de bonne terre qui attendent de recevoir l’Evangile pour porter du fruit.
Nous ne sommes pas les maîtres de la moisson, mais seulement d’humbles ouvriers. Jésus est venu nous rencontrer « chez nous ». Il a semé comme un pauvre sans pouvoir contrôler les résultats. Il a été patient et a su attendre que nos yeux s’ouvrent. Désormais Il nous envoie partager avec nos frères et sœurs « chez eux ». Apprenons de lui la patience du pauvre. Par ailleurs, les frères et sœurs chez qui nous allons ont eux aussi une expérience à partager. Jésus nous a précédés « chez eux ». C’est pour cette raison que la première étape de notre chemin Kleopas aujourd’hui sera une étape d’écoute. Que notre écoute soit humble et discrète comme celle de Jésus sur le chemin d’Emmaüs.
4. Kleopas sort de chez lui pour partager sa joie
Après avoir reconnu Jésus à la fraction du pain, Kleopas et l’autre disciple sortent de chez eux dans la nuit, pour aller à la rencontre de leurs frères et sœurs. Ils n’ont comme seul bagage leur joie d’avoir été rejoints par Jésus, d’avoir pu enfin le reconnaître vivant et présent avec eux. Ils n’ont que leur témoignage à offrir. Ils sont pauvres de tout sauf de l’amitié retrouvée avec Jésus. Leur joie est celle de Jésus lui-même. « Je vous ai dit ces choses pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit complète » (Jn.15, 11). C’est la joie de se savoir aimé gratuitement, celle d’être invité à partager la passion de sa vie : annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres à ceux qui ont soif d’être aimés et d’être rejoints eux aussi sur leur route. Sortir de chez soi, comme Kleopas, quitter son confort, partir sur les chemins de la rencontre, n’est pas une faveur que nous faisons au Christ. C’est plutôt une grâce que nous recevons de Lui. « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, dit le Seigneur ; c’est moi qui vous ai choisis et vous ai établis pour que vous alliez et portiez du fruit » (Jn 15, 16). Le Pape François témoigne que Jésus nous donne « la douce et réconfortante joie d’évangéliser, même lorsque c’est dans les larmes qu’il faut semer » (No.10).
Le chemin Kleopas est donc un chemin joyeux. A chaque pas, nous nous rappelons comment Jésus lui-même nous a rejoints, nous a écoutés, nous a parlé avec douceur, nous a attendus avec patience, et s’est fait reconnaître finalement. Dans sa pauvreté et dans la simplicité, il nous a ouvert les yeux sur le trésor de son amitié.
Le Pape François invite l’Eglise à adopter elle aussi ce style pauvre : « L’Eglise « en sortie » est la communauté des disciples missionnaires qui prennent l’initiative, qui s’impliquent, qui accompagnent, qui fructifient et qui fêtent ». (No. 24).
a) Prendre l’initiative : aller rejoindre l’autre est déjà un signe d’amitié. Aller vers ceux qui sont loin, comme Jésus lui-même est venu nous chercher ; aller sans préjugés mais simplement pour rencontrer. Ayant fait l’expérience de la miséricorde qui nous a guéris, nous voulons la diffuser pour qu’elle soit à la disposition des autres. Partir pour s’ouvrir au partage et à la fraternité.
b) S’impliquer. Jésus s’est impliqué en nous lavant les pieds. Et il nous dit « Heureux êtes vous si vous le faites ». S’impliquer dans l’écoute, dans le service, dans le partage de sa propre expérience, même avec ceux que nous ne connaissons pas beaucoup et avec qui nous pouvons nous sentir un peu gênés. Refuser de continuer à se croiser sans se rencontrer. Accepter de s’arrêter, de prendre le temps de l’amitié, et porter ensemble les fardeaux les uns des autres.
c) Accompagner. Dans le souvenir de Jésus qui nous a accompagnés avec patience sur notre chemin, nous sommes disposés à accepter les lenteurs et les retards de ceux que nous rencontrerons sur notre chemin, à respecter le rythme de chacun. Notre patience trouvera son souffle dans la patience du semeur qui, en jetant le grain en terre, sait que ce n’est pas lui qui donne la croissance : « qu’il dorme ou qu’il se lève, nuit et jour, la semence germe et pousse il ne sait comment » (Mc 4, 27).
d) Être attentif aux fruits. Dans sa pauvreté, le semeur reste attentif. Il sait que le Seigneur veut que sa Parole soit féconde. Entretemps il ne s’alarme ni ne se plaint s’il voit que l’ivraie aussi pousse avec le bon grain. Il persévère humblement dans une situation imparfaite. Il sait que le grain de blé doit mourir pour porter du fruit. Il comprend qu’il doit accepter lui aussi de mourir à ses rêves de conquête et d’ordre parfait, pour porter des fruits de vie nouvelle.
e) Fêter. Chaque petite avancée, chaque petit bourgeon encore tout fragile et vulnérable, mérite d’être célébré. Non pas parce qu’il est le fruit des efforts d’un semeur tout plein de lui-même, mais parce qu’il est un don gratuit fait aux pauvres que nous sommes. Quand nos eucharisties rendent grâce pour une action transformatrice du Seigneur, elles nous réjouissent le cœur et nourrissent notre communauté car elles deviennent alors l’expression de la gratitude du pauvre,. Elle donne le courage de « sortir de nouveau » pour aller vers ceux qui sont encore loin.
Au moment où nous commençons notre chemin Kleopas, je vous invite tous à revenir à la source pour récupérer la « fraîcheur originale de l’Evangile », comme dit le Pape François. Cette fraîcheur nous est apparue surtout dans l’attitude simple de Jésus envers Kleopas sur le chemin d’Emmaüs. Au fond elle provient du choix que Jésus a fait de vivre pauvre parmi nous « afin de nous enrichir de sa pauvreté » (2 Cor 8, 9).
Les circonstances concrètes de sa vie – sa naissance dans une étable, son enfance et sa jeunesse comme le fils d’un charpentier de village, sa vie de missionnaire itinérant qui « n’avait pas d’endroit où reposer sa tête » (Lc.9, 58), sa vulnérabilité devant les caprices des autorités religieuses et politiques de son temps, ce qui l’a conduit jusqu’à sa mort sur la croix – tout cela n’est que la face extérieure d’une pauvreté plus profonde que Jésus a choisi de vivre. Ce choix est celui « de ne pas retenir jalousement le rang qui l’égalait à Dieu » mais de « se vider lui-même et de prendre la condition de serviteur » (Ph. 2,6-7). C’est le choix de se décentrer de lui-même, et de communier à l’amour gratuit du Père pour les hommes vers qui il était envoyé.
La pauvreté de Jésus n’a donc rien d’un choix morbide. Elle résonne plutôt comme une joie. Sa pauvreté était sa manière de s’ouvrir sans réserve à l’amour du Père qui l’envoie, de l’accueillir comme le trésor de sa vie.
Sa pauvreté était aussi son désir de partager généreusement ce trésor avec nous. Tout ce qu’il avait, tout ce qu’il savait, jusqu’à la communion qu’il vivait avec son Père, était mis à la disposition des autres. Il se faisait une joie de tout partager comme un vrai grand frère. « Je ne vous appelle pas serviteur, disait-il, mais amis, car tout ce que j’ai appris de mon Père je vous l’ai fait connaître » (Jn.15, 15).
Ce désir de partage l’a conduit à avoir une attention spéciale pour les plus pauvres. Il s’est fait pauvre comme eux, il s’est identifié à eux pour montrer qu’il n’y a aucune condition préalable pour mériter son amour. Dieu ne s’attend pas à ce que nous atteignons un certain niveau de moralité pour s’intéresser à nous. « Heureux les pauvres, le Royaume de Dieu est à vous ». C’est ainsi que Jésus quittait volontiers sa zone de confort et partait à la recherche de ceux et celles qui souffraient d’être rejetés et marginalisés, et avaient soif d’être aimés gratuitement.
Au fil de sa vie, son obéissance à son Père est devenue une passion pour ses frères et sœurs afin qu’aucun de ceux qui lui avaient été donnés ne soit perdu (Jn 6, 39). Cette passion pour l’annonce de la Bonne Nouvelle aux pauvres le conduira jusqu’à la croix. Mais par la grâce de la résurrection, il ne sera pas enfermé dans l’oubli de la mort. Il reviendra vers nous pour être présent avec nous tous les jours jusqu’à la fin des temps. C’est ainsi qu’il a été « avec Kleopas » sur le chemin d’Emmaüs et qu’il est là avec nous aujourd’hui sur notre chemin Kleopas. Il est là pauvre de tout sauf de l’amour qu’il reçoit gratuitement et qu’il partage gratuitement.
La pauvreté de Jésus est comme une eau vive qui peut irriguer l’Eglise et renouveler notre manière de vivre l’Evangile et de le partager. N’hésitons pas, comme Jésus, comme Père Laval, à aller en priorité vers les plus pauvres, les plus éloignés de l’Eglise, ceux et celles qui n’osent pas s’approcher par peur d’être rejetés. Comme Jésus qui acceptait l’hospitalité de Kleopas, n’hésitons pas à nous laisser inviter chez eux, non seulement dans leur maison ou dans leur cour, mais aussi dans les joies et les peines, les angoisses et les espoirs qu’ils souhaiteraient partager avec nous. Prenons le temps de la rencontre, laissons germer l’amitié gratuite. « Accueillons la mystérieuse sagesse que Dieu veut nous communiquer à travers les pauvres » (Pape François No. 198). Un climat de confiance mutuelle est ce terreau fécond dans lequel peuvent germer des fruits inattendus, ceux que « l’Esprit, qui souffle où il veut » voudra bien nous donner.
En allant vers nos frères et sœurs pour ces temps d’écoute – la première étape de notre cheminement Kleopas, – allons-y pauvrement comme Jésus l’a fait en allant vers Kleopas. Soyons pauvres comme lui dans une écoute sincère, dépouillée de tout jugement, de tout préjugé. Soyons pauvres comme lui, n’hésitons pas à nous rendre vulnérables quand il s’agira de parler de notre propre foi, de nos hésitations, de nos combats peut-être, et de rendre compte malgré tout de l’espérance qui est en nous. Soyons pauvres comme lui, ne cherchons pas à produire des résultats tout de suite, mais laissons l’Esprit faire son travail.
Conclusion
Au moment de prendre le chemin Kleopas, faisons confiance à Jésus qui nous envoie. Laissons-le nous enrichir de sa pauvreté. La joie de l’Evangile que nous voulons partager ne vient pas de nous. Nous ne sommes que d’humbles messagers qui ne faisons que partager ce que nous avons reçu…
Le Pape François nous le rappelle sans cesse : « la primauté revient toujours à Dieu, qui a voulu nous appeler à collaborer avec lui et nous stimuler avec la force de son Esprit ». La véritable nouveauté est celle que Dieu lui-même veut produire de façon mystérieuse, celle qu’il inspire, celle qu’il provoque, celle qu’il oriente et accompagne de mille manières. Dans toute la vie de l’Eglise, on doit toujours manifester que l’initiative vient de Dieu, que c’est « lui qui nous a aimés le premier » (1 Jn 4, 19) et que « c’est Dieu seul qui donne la croissance » (1 Co 3, 7). Cette conviction nous permet de conserver la joie devant une mission aussi exigeante qui est un défi prenant notre vie dans sa totalité. Elle nous demande tout, mais en même temps elle nous offre tout » (no. 12).
Je voudrais remercier chaleureusement tous ceux et celles qui, dans cet esprit, se sont engagés sur le chemin Kleopas – les prêtres, les religieuses, les membres des EAP, des mouvements, tous ceux et celles qui animeront les groupes d’écoute et qui y participeront. Je remercie aussi ceux et celles qui, étant eux-mêmes empêchés, encouragent leurs amis et connaissances à participer, ceux et celles qui de leur chambre de malade ou de leur cloître, prieront et offriront leur souffrance pour que le Seigneur bénisse notre chemin.
Le but de notre chemin est une démarche fraternelle, celle de « quelqu’un qui partage une joie, qui indique un bel horizon … » (No. 14). St François d’Assise décrit cette démarche en ces termes : « Le Seigneur nous a envoyés évangéliser les hommes. Mais as-tu déjà réfléchi à ce que c’est qu’évangéliser les hommes ? Evangéliser un homme, vois-tu, c’est lui dire : Toi aussi, tu es aimé de Dieu dans le Seigneur Jésus. Et pas seulement le lui dire, mais le penser réellement. Et pas seulement le penser, mais se comporter avec cet homme de telle manière qu’il sente et découvre qu’il y a en lui quelque chose de sauvé, quelque chose de plus grand et de plus noble que ce qu’il pensait, et qu’il s’éveille ainsi à une nouvelle conscience de soi. C’est cela, lui annoncer la Bonne Nouvelle. Tu ne peux le faire qu’en lui offrant ton amitié. Une amitié réelle, désintéressée, sans condescendance, faite de confiance et d’estime profondes ».
Laissons nous conduire par l’Esprit : c’est lui et lui seul qui peut transformer les pauvres matériaux que nous sommes en pierres vivantes, les pierres d’une maison accueillante, ouverte à tous ceux et celles qui cherchent un peu d’eau fraîche pour apaiser leur soif au milieu des déserts qu’ils traversent.
Mgr Maurice E. Piat
07 février 2014
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