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Lettre pastorale 2015 - Familles, Dieu vous aime

Chères familles mauriciennes,

Je voudrais vous adresser une parole d’amitié et de reconnaissance pour votre immense contribution au développement humain de notre société mauricienne, au maintien de la paix sociale dans notre pays et, dans l’Eglise, pour le rôle clé que vous, familles chrétiennes, assumez dans la transmission de la foi. Je voudrais aussi vous dire une parole d’encouragement et de solidarité dans vos épreuves, souvent lourdes à porter.

Pour chacun de nous, notre famille, telle qu’elle est[1], reste notre bien le plus précieux. Même si elle est souvent la cause de nos plus gros soucis, elle est aussi la source où nous puisons les ressources de générosité et de confiance en nous-mêmes pour continuer la route sans baisser les bras. Que vos familles soient ces lieux de ressourcement où vous avez goûté l’amour qui vous a mis au monde et vous a mis debout, ou qu’elles portent encore les traces de blessures profondes, n’oubliez jamais que Dieu vous aime. Dieu aime votre famille comme elle est aujourd’hui. Chaque famille connaît son lot unique de difficultés et de dynamismes, de grandes joies et de grandes souffrances. Dieu n’a pas honte de nos problèmes, il ne s’offusque pas de nos faiblesses ni même de nos péchés. Il est simplement là avec nous, discret mais très présent. Il marche avec nous sur nos routes humaines comme Jésus marchant avec Kleopas. Il veut panser nos blessures et réveiller en nous le goût de vivre, la capacité d’aimer.

  1. Tout en restant très attachés à notre famille, nous reconnaissons que ce bien précieux entre tous connaît aussi ses fragilités. Le manque d’attention et de temps gratuit accordés à son conjoint ou à ses enfants est la cause de grandes épreuves qui restent souvent cachées. Les tensions entre les parents et leurs enfants, adolescents ou adultes, provoquent des blessures souvent difficiles à partager et à soigner. Les séparations, les divorces et les remariages, même s’ils sont quelques fois inévitables laissent le plus souvent de vives cicatrices chez les époux comme chez les enfants. Ils entraînent aussi des situations douloureuses comme celles des femmes abandonnées qui restent seules à porter tout le poids de l’éducation des enfants, ou celles des hommes désemparés, perdus devant l’échec d’une vie.

En amont de ces drames familiaux, on rencontre parmi tant d’autres causes, un style de vie de plus en plus toléré où des jeunes, poussés par une soif de plaisir, papillonnent dans des aventures sans lendemain et finissent par avoir peur d’un engagement dans la durée. D’autres, faute de préparation et d’encadrement adéquats, s’engagent mais pour de mauvaises raisons et fondent des familles sur des bases fragiles. Au moindre coup de vent, la famille s’écroule.

Des facteurs externes contribuent aussi à fragiliser les familles. Par exemple, le contexte socio-économique ultra libéral, en encourageant une course effrénée au profit et en se souciant peu du développement humain des personnes, contribue à la précarité de l’emploi, à un coût de la vie toujours plus élevé, et à des horaires de travail toujours plus écrasants pour les familles. Dans ces conditions, celles-ci n’arrivent pas à donner aux enfants un cadre de vie stable pour leur développement humain équilibré.

  1. En dépit de nombreux signaux d’une crise de la famille, la soif d’une vie familiale stable reste très vive. On aime se rencontrer en famille pour les fêtes ou les anniversaires. On se dérange de loin pour se rendre visite autour du premier de l’an ou pour un mariage ou un enterrement. Dans des moments creux rien ne remplace le soutien d’une maman, d’un papa, d’un frère, d’une sœur. Les jeunes adultes surtout sentent bien que, malgré les moments de révolte qu’ils ont pu avoir, leur famille a été leur première école d’humanité, le lieu où ils ont découvert et commencé à vivre les valeurs humaines fondamentales.

Les chrétiens écoutés dans le cadre du « chemin Kleopas »[2] révèlent aussi l’importance fondamentale de la famille comme première école de la foi. C’est là qu’ils ont appris à faire confiance à la tendresse et à la miséricorde de Dieu. Même s’il arrive que certains abandonnent la pratique religieuse à l’adolescence, cette foi semée en eux comme la petite graine de moutarde resurgit plus tard et porte de beaux fruits, par exemple quand ils ont à prendre des décisions importantes, comme se marier, émigrer vers un autre pays, commencer sa propre entreprise, ou lors d’événements importants comme la naissance d’un enfant, son baptême, sa Première Communion.

  1. L’Eglise se sent interpellée aujourd’hui par la contribution décisive des familles à la naissance et à la croissance de la foi chrétienne, ainsi que par cette soif d’une vie familiale stable qui se cache derrière beaucoup de drames et de souffrances. Cela montre que les valeurs fondamentales du mariage et de la famille correspondent à la recherche qui traverse l’existence humaine même à une époque marquée par l’individualisme, par la course à l’argent et au plaisir. Nous sommes invités alors à ne pas adopter une posture de jugement pour critiquer ce qui se passe en surface, mais plutôt à être attentifs à la soif profonde des familles, chercher à les comprendre, leur faire confiance, les accompagner dans leurs efforts pour relever les défis qu’elles rencontrent aujourd’hui.

C’est pour cette raison que l’Eglise à l’île Maurice s’est mise en route sur un chemin de conversion et de renouvellement pour revoir et adapter notre manière d’annoncer l’Evangile et de transmettre la foi dans nos paroisses, nos écoles et tout spécialement dans nos familles. Car nos paroisses et nos écoles sont toutes au service des familles pour les soutenir dans leur mission irremplaçable dans l’Eglise et dans le pays. Ce projet nous l’avons appelé le « chemin Kleopas », du nom d’un des deux pèlerins que Jésus rencontre sur la route d’Emmaüs et à qui il témoigne une grande amitié, ce qui leur donne un nouveau souffle pour leur mission.

A la même époque à Rome, le Pape François, dans sa lettre « La Joie de l’Evangile » de 2013 nous confirmait dans ce désir de retrouver un nouvel élan pour annoncer l’Evangile au monde d’aujourd’hui. De plus, le Pape François convoquait aussi deux Synodes consécutifs (l’un en 2014 et l’autre en 2015) sur la famille, sa vocation, sa mission. Cette initiative nous confirmait également dans notre conviction sur le rôle central de la famille dans l’annonce de l’Evangile et la transmission de la foi. Cette coïncidence, dans le temps et dans la visée, entre ce que le Pape François préconisait à Rome et le chemin Kleopas que nous avions commencé à l’île Maurice a été pour nous un signe de l’Esprit et un grand encouragement.

Pour préparer le 2e Synode, celui de 2015, le Pape François nous demande notre avis sur des questions pastorales qui nous interpellent aujourd’hui. Ces questions concernent aussi le chemin Kleopas qui après de nombreuses consultations l’an dernier, rentre cette année dans l’étape cruciale du discernement.  Il est bon au stade où nous sommes rendus, d’entendre cette invitation du Pape confirmer notre désir de chercher honnêtement ce que l’Esprit nous demande comme service renouvelé des familles dans les situations concrètes où elles se trouvent aujourd’hui. Ces questions sont entre autres :

  • L’annonce de l’Evangile de la Famille aujourd’hui dans différents contextes
  • La préparation des fiancés au mariage
  • L’accompagnement des jeunes couples durant les premières années du mariage
  • La pastorale des couples mariés civilement mais non-religieusement – des couples vivant ensemble sans être mariés ni civilement, ni religieusement
  • La présence et le soin à apporter aux familles blessées : époux séparés, couples divorcés et remariés, couples divorcés et non remariés, familles monoparentales
  • L’attention pastorale à avoir envers des personnes avec une orientation homosexuelle
  • La transmission de la vie dans un contexte du déclin de la natalité

Dans cette lettre je ne proposerai pas de réponses à ces questions, précisément pour laisser le champ libre à l’équipe de discernement de Kleopas et aux personnes qui voudraient s’exprimer en toute liberté. Par contre, le Pape nous demande de répondre à ces questions en adoptant comme point de départ « le chemin déjà accompli par le Synode de 2014 sur la famille »[3]. C’est pourquoi, dans cette lettre je vous présenterai l’essentiel de ce « chemin » en indiquant quatre repères principaux pour se mettre au service des familles aujourd’hui et leur annoncer l’Evangile. A la lumière de ces repères, les familles elles-mêmes pourront relire leur histoire et « repérer » les grandes valeurs qu’elles vivent déjà mais qui restent souvent enfouies dans le train-train de la vie quotidienne et sont peu reconnues. Prendre le temps de déterrer ces trésors cachés peut être très encourageant pour les familles. D’un autre côté, ces mêmes repères peuvent aussi nous aider à prendre conscience de ce qui ne va pas, nous interpeller et réveiller en nous le désir de nous convertir. Les familles pourront alors réentendre l’appel que le Christ leur fait, et décider de faire un pas de plus sur le chemin de vérité et de vie qu’il ouvre devant nous.

  1. Chères familles, je vous invite donc à participer activement à ce discernement sur votre propre vie de famille et sur votre mission dans l’Eglise, à la lumière des quatre repères que je vous propose dans cette lettre. Vous avez un rôle à jouer dans l’Eglise. L’Esprit Saint est déjà à l’œuvre en vous. Vous avez des choses à dire, une contribution originale à apporter à partir de votre expérience. Déjà beaucoup d’entre vous accomplissez un magnifique travail avec vos aumôniers au sein de nombreuses équipes de couples, dans les mouvements familiaux, dans les CPM, à l’Action Familiale, dans la Catéchèse des parents en paroisse, dans le service de formation des familles, etc. Je voudrais vous exprimer ici ma profonde gratitude. Merci de témoigner concrètement que Dieu aime les familles d’un amour inconditionnel quelle que soit leur situation et qu’il leur propose un chemin de vérité et de vie. Je souhaite que la joie que vous vivez déjà dans votre mission attire d’autres familles à travailler comme ouvriers à la moisson.

Il ne faut pas croire que, si votre famille passe par des moments difficiles, vous ne pouvez rien apporter aux autres. Au contraire, votre expérience, même douloureuse, lorsqu’elle est partagée avec simplicité peut beaucoup encourager ceux et celles qui croyaient jusque-là être les seuls à passer par de telles épreuves. Personne n’est parfait. Personne ne peut prétendre être déjà arrivé au but. Tous, que nous soyons évêques, prêtres, religieux, laïcs, nous sommes des pécheurs qui dépendons de la miséricorde du Seigneur pour notre salut. Nous avons tous besoin du soutien et de l’encouragement des autres. Je vous invite donc vous aussi à chercher avec les autres des solutions concrètes aux innombrables défis que les familles ont à affronter aujourd’hui. L’Esprit qui nous guide, nous fera trouver des chemins de miséricorde et de vérité pour tous.

1e repère : Priorité à la proximité et à la miséricorde

  • Depuis 50 ans environ, le Concile Vatican II[4], les Papes Paul VI[5] et Jean-Paul II[6] ont donné à l’Eglise un enseignement de grande valeur sur la famille, sa vocation, sa mission, ses responsabilités, ses droits. Le Cardinal Margéot l’a repris et largement diffusé dans le diocèse. Plus récemment, moi aussi je suis revenu sur certains éléments de cet enseignement dans mes lettres pastorales.

Cependant, il ressort clairement de la consultation faite auprès des fidèles du diocèse avant le Synode d’octobre 2014, que pour beaucoup de familles, cet enseignement est souvent perçu comme un ensemble de règles et d’interdits qui leur paraissent souvent impossibles à mettre en pratique. Elles ne voient pas comment cet enseignement répond à leurs questions, ni comment il peut être une bonne nouvelle pour elles. Elles le perçoivent plutôt comme un bel idéal mais pas réalisable dans leur vie. Beaucoup de personnes ont alors l’impression d’être mises devant un choix cruel : soit tout accepter d’un coup, ce qui leur paraît impossible, soit se retrouver plus ou moins marginalisé par l’Eglise, ce qui leur paraît injuste.

Pour expliquer ce terrible malentendu, nous avons tendance dans l’Eglise à évoquer le contexte social qui a évolué et n’est plus porteur. Nous blâmons aussi la culture ambiante libérale qui encourage comme valeur la course au plaisir et la liberté sexuelle. Mais en fait il ne suffit pas d’interpeller la culture ambiante pour mieux promouvoir le message de l’Evangile. C’est une illusion de croire que cette culture doit d’abord changer pour que ce message puisse être accueilli. Aucun milieu de vie, aucune situation ne doit être considérée comme imperméable à l’Evangile. C’est l’Eglise qui doit se remettre en question sur sa façon de présenter l’Evangile comme bonne nouvelle aux familles.

  • Cette remise en question porte surtout sur le fait que, souvent l’Eglise s’est montrée trop exclusivement préoccupée par la justesse de son enseignement, par sa capacité de le « fonder en raison », par la nécessité de le défendre. Elle n’a pas assez donné le visage d’une Eglise prête à « sortir » d’elle-même pour rejoindre les familles dans leurs réalités concrètes, à se faire proche d’elles, à les écouter. Elle s’est trop préoccupée de mettre les familles en règle et pas assez de les mettre en route.

Ce n’est pas que l’enseignement de l’Eglise a perdu de sa pertinence pour les familles du monde contemporain, au contraire. C’est plutôt que la « position » de l’Eglise sur les questions familiales ne se résume pas à une doctrine mais inclue aussi une manière de « se poser », de se situer par rapport aux familles. Dans l’Eglise, nous avons eu tendance à privilégier le côté « enseignant » de notre vocation, nous avons voulu à tout prix convaincre ; et en même temps, nous avons négligé le côté « maternel » de notre vocation. Ce côté maternel consiste à témoigner de la miséricorde du Seigneur, à chercher à comprendre et à accompagner les personnes qui cachent souvent de grandes souffrances derrière les irrégularités de leur vie ; il nous pousse à être patient aussi envers ceux et celles qui ont besoin de beaucoup de temps pour accueillir l’Evangile et prendre un chemin de conversion. La priorité aujourd’hui est de remettre en valeur la vocation maternelle de l’Eglise, non pas pour négliger sa mission d’enseignement, mais plutôt pour créer l’atmosphère de gratuité, de respect et de patience qui permette à son enseignement d’être mieux accueilli[7].

Le dernier Synode de 2014 insiste sur l’importance d’annoncer l’Evangile aux familles « avec la tendresse d’une mère et la clarté d’une enseignante, dans la fidélité au Christ qui s’est dépouillé lui-même par miséricorde pour nous »[8]. En pratique, cela veut dire « accueillir les personnes avec leur existence concrète, savoir soutenir leur recherche, encourager leur désir de Dieu et leur volonté de faire pleinement partie de l’Eglise, même chez celles qui ont connu un échec ou qui se trouvent dans des situations les plus disparates. Le message chrétien comporte toujours la réalité et la dynamique de la miséricorde et de la vérité qui convergent dans le Christ »[9].

Cet appel à donner priorité à la miséricorde sans pour autant passer sous silence la vérité du Christ vaut pour les prêtres et les évêques dans leurs relations avec les familles. Il vaut aussi pour les parents dans leur relation avec leurs enfants, pour les familles dans leurs relations avec d’autres familles, parentes, voisines ou amies et pour tout laïc ou religieux engagé dans un apostolat auprès des couples et des familles. Souvent les familles qui passent par des moments difficiles n’osent pas partager leurs souffrances par peur d’être jugées ou rejetées. Seule une attitude d’écoute, de proximité et de bienveillance peut déverrouiller cette peur et ouvrir la porte à un dialogue confiant qui remet la personne en route sur un chemin de vérité et de vie.

  • Tenir ensemble ces deux aspects, « la miséricorde et la vérité qui convergent dans le Christ » n’est pas facile pour personne. Nous sommes tous exposés aux tentations contre lesquelles le Pape François lui-même mettait en garde les évêques participants au Synode de 2014:
  • d’une part, « la tentation du raidissement hostile », c’est-à-dire, vouloir s’enfermer dans ce qui est écrit dans la loi (la lettre) et ne pas se laisser surprendre par Dieu, le Dieu des surprises (l’Esprit) ; la tentation de s’enfermer à l’intérieur de la loi, de la certitude de ce que nous connaissons et ne pas rester ouvert à ce que nous devons encore apprendre et comprendre en écoutant nos frères et sœurs qui souffrent ;
  • d’autre part « la tentation de ceux et celles qui, au nom d’une miséricorde trompeuse, ont tendance à tout accepter, tout approuver, simplement « parce que c’est comme ça aujourd’hui ». Même avec les meilleures intentions du monde, cette attitude ne fait que bander les blessures sans d’abord les soigner. Elle s’arrête aux symptômes et ne va pas jusqu’aux racines du mal.
  • Pour résister à ces tentations, il n’y a pas de recettes. Mais il y a un chemin que nous pouvons faire ensemble, celui qui, sous la conduite de l’Esprit, nous fait « entrer dans le cœur de l’Evangile ».

Il est bon de relire dans cette perspective le récit des rencontres de Jésus avec la femme adultère condamnée à mort par les autorités religieuses juives (Jn 8), avec la prostituée qui fait irruption dans une réception où il était invité et scandalise son hôte (Lc 7), avec la femme de Samarie qui avait eu plusieurs maris (Jn 4), ou avec Zachée, le fonctionnaire corrompu qui s’enrichissait sur le dos des petits (Lc 19), ou encore avec ses propres apôtres qui cherchaient les premières places par ambition (Mc 10). On découvre dans ces récits comment Jésus commence toujours par écouter et mettre en valeur ce qu’il peut y avoir de bon chez un homme ou une femme qui a, de fait, péché. Il lui offre d’abord son amitié sans condition, une amitié pleine de compréhension et de miséricorde. Et c’est toujours cette miséricorde surprenante qui touche ses interlocuteurs, les détourne de leur péché et les remet en route.

Jésus sait que la première aspiration du cœur humain, c’est d’être rejoint dans sa souffrance ; de se savoir aimé avec ses faiblesses ; de sentir que malgré son péché, quelqu’un d’autre peut encore lui faire confiance. Il sait que c’est la miséricorde, et non pas d’abord des arguments, qui nous inspire confiance et nous pousse par la suite à accueillir la vérité qu’il nous propose. Jésus connaît la puissance de l’amour gratuit de Dieu qui se déploie comme une force d’attraction au sein de notre faiblesse. Jésus connaît aussi les risques qu’une telle attitude entraîne. Il a été lui-même rejeté, bouffonné, trahi. Mais il sait aussi ce que veut dire « aimer jusqu’au bout » (Jn 13, 1) pour que l’amour sauve les hommes.

Chères familles, laissez-vous rafraîchir par cet amour de Dieu si simple et si fort qui apparaît dans la façon de faire de Jésus. Prenez le temps de le contempler, et laissez-vous toucher, transformer par lui. Nous sommes nous-mêmes les premiers bénéficiaires de cette miséricorde. C’est dans la mesure où nous le reconnaissons que nous pourrons en témoigner autour de nous. Tant et tant de personnes et de familles ont soif de cette eau vive et ne savent pas quel chemin prendre pour trouver la source. Restez toujours en contact avec la source d’eau vive pour pouvoir y conduire tous ceux et celles qui désirent s’y abreuver.

2e repère : l’Evangile de la famille comme un chemin de vie

2.1. Le Synode de 2014 sur la famille ne parle pas de « morale familiale » mais plutôt de  « l’Evangile de la Famille ». Pourquoi ? Rappelons-nous que « Evangile » veut dire « Bonne Nouvelle ». Ainsi, par ce changement d’expression, le Synode a voulu souligner que les exigences du mariage chrétien ne sont pas d’abord des préceptes plus ou moins arbitraires auxquels les époux doivent se plier, mais un chemin de vie qui répond à leurs aspirations les plus profondes, un chemin sur lequel Jésus les invite à le suivre.

Pour découvrir la beauté de ce chemin, les époux ont besoin d’être conduits à rencontrer le Christ comme la personne vivante qui les y appelle. Ils ont besoin d’être introduits au Christ, d’être guidés dans la façon d’écouter sa parole pour découvrir que c’est lui qui incarne la miséricorde et la tendresse de Dieu dans une vie humaine d’une grande simplicité. Chacun a besoin de temps pour se laisser gagner à la confiance jusqu’au moment où en toute liberté il met sa foi dans le Christ et s’engage à le suivre.

Eclairés et vivifiés par cette rencontre personnelle avec le Christ, les époux peuvent accueillir le mariage chrétien comme une vocation qui leur est proposée et envisager leur projet de mariage comme leur réponse libre à cet appel.

Dans cette perspective de foi, l’unité et l’indissolubilité du mariage proposées par Jésus n’apparaissent plus comme un fardeau à porter mais comme un don gratuit qui répond à l’aspiration la plus profonde de leur amour – tenir dans la durée. A la lumière de l’appel, ils découvrent aussi que la fidélité à vivre dans le mariage est en fait une invitation à participer, dans leur vie quotidienne, à la manière même d’aimer de Jésus.

De même, le lien fort entre leur amour conjugal et l’accueil d’une nouvelle vie et comme un reflet de la façon dont Dieu lui-même fait naître la vie par amour, et se met au service de cette vie avec une fidélité sans faille. C’est pourquoi, pour soutenir les époux quand arrive le moment du choix du nombre d’enfants à avoir, l’Eglise ne leur propose pas de simples techniques de contraception. Elle les invite plutôt à un dialogue profond entre eux sur le sens humain de la sexualité comme le langage privilégié du don mutuel de leur personne dans la durée pour pouvoir assumer ensemble l’accueil de la vie qui peut naître de leur amour. Les méthodes naturelles de régulation de naissance ont l’avantage à la fois de promouvoir une parenté responsable à travers ce dialogue entre époux et de faire découvrir aussi l’ouverture à la vie comme une dimension profonde de l’amour conjugal. Les époux qui en ont fait l’expérience en témoignent. Cependant, il y en a d’autres qui éprouvent des difficultés par rapport aux méthodes naturelles de régulation des naissances. Il faut savoir les écouter, comprendre la nature de leur difficulté et respecter la dignité des personnes dans l’évaluation morale qu’elles font des méthodes de régulations de naissance. C’est sur cette base  que peut reposer un enseignement approprié sur les méthodes naturelles.[10]

La vocation des familles est aussi un appel à devenir comme un « carrefour d’amour gratuit ». Entre époux d’abord puisqu’ils sont appelés à recevoir avec émerveillement le don gratuit que chacun fait à l’autre de sa personne avec ses qualités et ses fragilités, à se soutenir mutuellement dans leurs épreuves, à se faire confiance et à se pardonner avec une patience au long souffle. Entre parents et enfants ensuite, car, d’une part, les parents sont appelés à accueillir et à aimer leurs enfants pour eux-mêmes, tels qu’ils sont avec leurs limites et leurs qualités propres, et non pas comme une source rêvée de bénéfice ou d’honneur pour la famille. Des parents qui ont su accueillir avec tendresse un enfant porteur d’un handicap, avec ses faiblesses mais aussi avec sa profondeur de sentiment, peuvent témoigner du bonheur qui envahit une famille quand elle vit cet accueil avec générosité et confiance. D’autre part, les enfants, après avoir tant reçu de leurs parents qui les ont fait grandir, sont appelés eux aussi à les aimer d’un amour de plus en plus désintéressé au fur et à mesure qu’ils entrent dans leur grand âge. Entre frères et sœurs enfin, car c’est l’amour désintéressé et non pas des relations d’intérêt qui assure l’unité et la solidarité d’une fratrie.

La vocation de la famille est de donner une priorité absolue à l’amour désintéressé vécu concrètement au quotidien. Priorité à l’amour sur la course à l’argent, au plaisir ou au succès social. Le défi de l’amour gratuit vécu au ras des pâquerettes est le même pour tous, que notre famille soit restée unie depuis le début ou qu’elle soit une famille séparée, recomposée ou monoparentale. L’amour que les familles sont appelées à vivre n’est pas simplement un « feel good factor » mais un don de soi. Or, ce don de soi existe aussi dans des familles blessées et donne un beau témoignage qui peut faire beaucoup de bien à d’autres.

Même si la vocation au mariage et à la vie de famille comporte des exigences, « la rencontre avec le Christ – le fait de se laisser saisir et guider par son amour – élargit l’horizon de l’existence et lui donne une espérance solide qui ne déçoit pas. La foi n’est pas un refuge pour ceux qui sont sans courage, mais un épanouissement de la vie. Elle fait découvrir un grand appel, la vocation à l’amour et assure que cet amour est fiable, qu’il vaut la peine de se livrer à lui, parce que son fondement se trouve dans la fidélité de Dieu, plus forte que notre fragilité »[11].

2.3. Pour proposer fidèlement ce chemin de vie aux familles par la parole comme par le témoignage, nous devons tous résister à deux autres tentations contre lesquelles le Pape François nous met en garde : la tentation de réduire les exigences de l’amour pour faire plaisir aux gens. La tentation aussi de négliger l’ensemble de ce que nous propose l’Evangile (ce qu’on appelle « le dépôt de la foi ») et de se concentrer sur les morceaux qui nous plaisent. Ce qui reviendrait à nous conduire non pas comme des gardiens fidèles de l’héritage précieux que le Christ nous a confié pour le transmettre aux autres, mais comme des gens qui se déclarent propriétaires d’un bien qui leur a été confié et qui coupent et tranchent dans ce qu’ils ont reçu avant de le remettre à ses destinataires.

Pour résister à ces tentations, nous devons nous inspirer de l’exemple de Jésus qui, en son temps, s’adressait toujours à la liberté de ses interlocuteurs : il leur faisait à la fois une invitation et une promesse « Venez et vous verrez ». L’invitation était comme déposée devant la libre décision de chacun et la promesse était comme un appel à faire confiance.

De même, l’Evangile de la famille doit s’adresser à la liberté des personnes et résonner comme une invitation et une promesse. Même s’il y en a qui se laissent entraîner dans un style de vie superficiel, au fond personne n’est insensible au témoignage simple et joyeux de couples et de familles qui, malgré les difficultés qu’elles rencontrent, rayonnent la joie de l’Evangile dans leur vie concrète. Ce témoignage des familles est précieux car il montre comment l’Evangile rejoint les aspirations les plus profondes du cœur humain. « Sans lui, l’annonce, même la plus correcte, risque d’être incomprise ou de se noyer dans la mer des mots qui caractérise notre société »[12]. Le Christ n’a jamais forcé les gens à accepter son évangile. Mais il n’a jamais non plus abandonné à leur sort les gens qui tournaient en rond comme des brebis sans berger ou qui souffraient d’être marginalisés. A tous, avec une affection et un respect immenses, il disait et redisait « Venez à moi, vous tous qui ployez sous le poids du fardeau et moi je vous soulagerai… Mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos ». Il les rejoint avec une immense miséricorde et en même temps les invite à se mettre à son école.

Aujourd’hui encore, nous sommes tous appelés à sortir des sentiers battus, à nous déplacer pour aller à la rencontre de ceux et celles qui sont à l’écart de l’Eglise ou de la société. Nous pouvons nous aussi les écouter avec amitié et compréhension. Nous pouvons nous aussi leur transmettre l’invitation et la promesse que le Seigneur nous a confiées pour être déposées devant leur liberté. Semer la Parole comme le Christ exige de croire dans la puissance de transformation de cette Parole. Il faut aussi croire que dans le cœur de chaque homme et de chaque femme il y a toujours un coin de bonne terre, c’est-à-dire, une attente de cette Parole libératrice qui panse nos blessures, nous remet debout. Je suis toujours touché quand j’entends des gens aujourd’hui qui me disent : « Pourquoi vous avez attendu tout ce temps pour nous partager cette Bonne Nouvelle ? ».

3e repère : Accompagner les familles 

3.1.       L’Evangile de la famille est un chemin de vie, mais il comporte aussi des exigences. Tout en reconnaissant que c’est un bel idéal, beaucoup de personnes auront tendance à dire qu’il leur est impossible de le vivre en pratique. Cet idéal les fait rêver, mais les exigences leur paraissent trop fortes. Trop d’obstacles dans la vie courante l’empêchent selon eux de devenir réalité.

On peut comprendre ce genre de réaction. Cependant, elle provient d’une fausse perception malheureusement très répandue selon laquelle Jésus nous demanderait d‘assumer toutes les exigences de l’Evangile immédiatement sous peine de nous condamner et de nous rejeter.

Mais, en fait, Jésus ne s’est pas présenté à nous comme un maître intraitable, pressé d’avoir des disciples parfaits au-dessus de tout reproche. Jésus se présente plutôt comme un bon berger, c’est-à-dire, comme quelqu’un qui ne se contente pas d’enseigner et d’imposer une discipline, mais qui s’intéresse à notre situation concrète et s’occupe de nous comme un pasteur s’occupe de son troupeau.

Le Bon Berger n’est pas là pour juger et décréter qui est en règle et qui ne l’est pas. Il est là d’abord et avant tout pour que les brebis aient la vie et qu’elles l’aient en abondance (Jn 10). C’est pourquoi il va à la recherche des brebis perdues « dans les lieux où elles furent dispersées les jours de brouillard » (Ez. 34, 12). Quand il les rejoint, il les conduit vers de bons pâturages où elles peuvent se reposer. Il les conduit progressivement, sans s’attendre à ce qu’elles atteignent le but tout de suite. Il les accompagne avec patience, sans jamais se fatiguer de la lenteur des brebis, de leurs peurs, de leurs résistances et même de leurs ingratitudes. Il est toujours là avec ses brebis, pour les relever si elles sont tombées, pour les soigner si elles sont blessées, pour les porter si elles ne peuvent plus marcher. Le Bon Berger reste toujours proche et en même temps, il ne se lasse pas de montrer la direction qu’il faut prendre et d’inviter à se remettre en route.

  • Cette extraordinaire présence de Dieu aux côtés des brebis perdues que nous sommes, est au cœur de la Bonne Nouvelle que l’Eglise a la responsabilité de transmettre aujourd’hui. Une telle Bonne Nouvelle ne s’annonce pas seulement en faisant de belles déclarations mais en s’engageant concrètement dans l’accompagnement des couples et des familles. Beaucoup sont blessés ou épuisés, ne sachant plus quel chemin prendre pour retrouver la vie à laquelle ils aspirent. Jésus nous invite à témoigner de sa présence à leurs côtés en les accompagnant. Cet accompagnement répond à un besoin, une soif phénoménale.

C’est pourquoi le Pape François insiste tellement sur l’importance de ce ministère d’accompagnement. Ce service est au cœur même de notre mission à tous, comme il a été au cœur de la vie de Jésus. « L’Eglise, nous dit-il, devra initier ses membres – prêtres, personnes consacrées et laïcs – à cet « art de l’accompagnement », pour que tous apprennent toujours à ôter leurs sandales devant la terre sacrée de l’autre (cf. Ex 3, 5). Nous devons donner à notre chemin le rythme salutaire de la proximité, avec un regard respectueux et plein de compassion mais qui en même temps guérit, libère et encourage à mûrir dans la vie chrétienne »[13] .

3.3.Cet « art de l’accompagnement » revêt plusieurs dimensions évoquées par le Synode de 2014

  1. il s’agit d’abord de faire un chemin avec les familles qu’on accompagne en partant de leurs situations concrètes, en sachant que souvent celles-ci sont davantage « subies » dans la souffrance que « choisies » en pleine liberté[14].
  2. l’accompagnement demande ensuite de respecter la dignité des personnes, particulièrement dans l’évaluation morale des décisions qu’elles ont déjà prises en conscience[15] même si leur conscience était mal éclairée et qu’il faudrait leur apporter des éléments nouveaux.
  3. l’accompagnement exige aussi de développer une sensibilité pour savoir apprécier les valeurs humaines et spirituelles authentiques déjà vécues par des familles en situations irrégulières. La reconnaissance de ces valeurs déjà présentes peut ouvrir le cœur à un accueil de l’Evangile[16].
  4. l’accompagnateur doit aussi tenir compte de ce que Jean-Paul II appelle « la loi de la gradualité »[17]. Il s’agit en fait de reconnaître que la conversion à laquelle l’Evangile nous invite tous, les familles comme les prêtres, les religieux, les évêques, se traduit concrètement dans une démarche qui s’étale dans le temps et qui nous conduit toujours plus loin. En tant que pécheurs, nous avons tous besoin de temps pour intégrer progressivement les dons de Dieu et avancer ainsi peu à peu sur le chemin de vie que nous propose le Christ[18]. La loi de gradualité nous invite aussi à tenir compte du fait que dans la vie du couple, il y a des décisions qui impliquent les volontés de deux personnes qui sont appelées à se comporter en harmonie : cela demande beaucoup de patience.[19]

3.4.       C’est pourquoi l’exigence fondamentale pour l’accompagnateur/trice, c’est la patience. Cette patience ne consiste pas à nous résigner à des compromis qui nous mettent mal à l’aise. Elle nous pousse plutôt à « attendre » avec la ténacité de l’espérance, comme le veilleur attend l’aurore. Ou encore comme le cultivateur qui respecte la lenteur de la croissance souterraine qu’il ne maîtrise pas, l’accompagnateur est appelé à attendre avec l’humilité de celui qui s’efface devant l’œuvre unique de Dieu dans le cœur de chaque personne.

Cette patience s’inspire de la patience même de Jésus qui, sur la croix, a accepté sans jamais désespérer de nous, de souffrir du rejet et de l’ingratitude de ceux-là mêmes pour qui il donnait sa vie. Même au-delà de la croix, dans sa vie de ressuscité, Jésus vit la patience de celui qui s’engage à « être avec nous tous les jours jusqu’à la fin des temps ».

La patience de Jésus nous révèle en fait la patience de Dieu, comme nous dit St Pierre dans sa 2e lettre : « Pour le Seigneur, un jour est comme mille ans, et mille ans comme un jour. Le Seigneur ne tarde pas à réaliser sa promesse, comme certains le pensent. Mais il use de patience envers vous, car il ne veut pas que qui que ce soit aille à sa perte ; au contraire, il veut que tous arrivent à se détourner du mal » (2 P. 3, 8).

4e repère : Une vie communautaire porteuse

 

4.1.       En tant que Mère, l’Eglise a vocation d’engendrer, i.e., de faire naître la vie de foi dans les cœurs. Bien sûr, c’est Dieu qui donne la vie, mais la contribution de l’Eglise, c’est essentiellement le témoignage humble des chrétiens, des familles et aussi des communautés chrétiennes. « Notre génération, disait Paul VI, écoute plus volontiers les témoins que les maîtres, et s’il écoute les maîtres c’est parce qu’ils sont aussi des témoins »[20]. De fait, notre manière de vivre en Eglise est décisive pour l’annonce de l’Evangile aux familles.

Une Eglise qui fait naître à la foi est une Eglise où les chrétiens éprouvent concrètement l’aspect pacifiant et riche d’espérance de la vie avec le Christ, même s’ils restent aux prises avec leurs épreuves et leurs difficultés. C’est une Eglise gagnée par la joie de l’Evangile, la joie d’avoir rencontré la miséricorde de Jésus, la joie d’être en route avec le Christ même si l’on est encore loin d’être en règle.

Quand des chrétiens reconnaissent qu’ils sont au fond des pécheurs pardonnés et respirent ce bonheur d’être sauvés par la miséricorde du Christ, alors leurs interlocuteurs qui se savent pécheurs eux aussi, mais restent souvent très seuls avec leurs fardeaux, se détendent. Ils voient que d’autres aussi sont comme eux et rencontrent les mêmes problèmes ; ils voient la transformation que la miséricorde du Christ apporte dans la vie d’homme et de femme pécheurs. Alors, s’ouvre pour eux une porte de salut et ils n’ont qu’une hâte, c’est de passer par la porte et de faire route eux aussi avec le Christ.

  • Pour germer au cœur des familles, la foi a besoin d’être portée par une Eglise humble et fraternelle où des familles se rencontrent dans un milieu communautaire fait de proximité et de soutien mutuel. La transmission de la foi se fait à travers des relations humaines toutes simples, de confiance, d’amitié réciproque et d’entraide en lien avec ce qui est vécu au quotidien. Pour que l’Evangile touche les familles, il nous faut travailler à construire l’Eglise comme un corps vivant, i.e., un corps qui ne se réduit pas à la grande assemblée dirigée par quelques-uns, mais un corps fait de multiples cellules où l’on vit l’accueil mutuel, l’écoute de la Parole de Dieu où l’on se rend service, l’on s’interpelle, et se pardonne. Dans une telle vie d’Eglise, les familles évoluent dans les conditions où elles peuvent s’ouvrir en confiance à la miséricorde de Dieu et accueillir le chemin de vie qui leur est proposé. Une Bonne Nouvelle ne s’apprend pas dans des cours, elle s’éprouve d’abord dans le contact amical avec d’autres qui se sont laissés rejoindre et transformer par elle.

Je pense concrètement à une famille que j’ai rencontrée dont un des membres est tombé dans l’enfer de la drogue. Cette famille passe par des épreuves terribles : elle est souvent dépouillée par celui qui a besoin de sa dose quotidienne ; ou bien, elle est montrée du doigt par d’autres familles qui se croient au-dessus de tout cela. L’accueil et le soutien de familles voisines et amies, le temps passé à les écouter et à prier ensemble, l’aide apportée dans les démarches à faire, ont été pour cette famille une bouée de sauvetage. Pour tenir debout et pour grandir dans la foi au sein même de cette épreuve, ce n’était pas d’abord de doctrine et d’enseignement qu’elle avait besoin mais d’amitié.

Pour vivre sa vocation de Mère et faire naître à la foi, l’Eglise doit privilégier une vie communautaire à la base dans tous les milieux. Beaucoup de familles vivent déjà cette proximité fraternelle et je leur dis ici toute ma reconnaissance. C’est là, au sein de ces petites communautés qu’on voit se développer toute une série de complémentarités qui sont essentielles pour que l’Eglise soit fidèle à sa vocation :

  • complémentarité entre l’enseignement de l’Eglise sur la famille et le témoignage vécu des couples et des familles ;
  • complémentarité entre la vocation de la famille qui s’adresse à tous et l’accompagnement de chacun qui avance à son propre rythme ;
  • la complémentarité entre l’apport des différentes générations : par exemple, entre l’autorité des parents qui doivent poser des balises, donner des repères, et l’accueil plus détendu des grands parents qui peut être déterminant dans bien des cas ;
  • la complémentarité entre le ministère du prêtre qui passe à intervalle régulier et l’apport des familles dans la proximité quotidienne ;
  • la complémentarité entre les hommes et les femmes ;
  • complémentarité aussi entre la prière en famille et les célébrations en paroisse, entre la catéchèse à l’école et le partage d’évangile en communauté de quartier ou en équipe de mouvement
  • Je voudrais remercier ici tous ceux et celles qui, au sein d’équipes de mouvements, de communautés de quartier ou de groupes de voisinage, donnent à l’Eglise ce visage de fraternités joyeuses, ouvertes à l’accueil des pauvres et en réseau les unes avec les autres. Le témoignage qu’elles portent à la miséricorde de Dieu en pleine pâte humaine est essentiel pour toucher les familles qui se sentent perdues. Elles sont comme une main tendue à celles qui se sont éloignées et ne savent plus comment s’y prendre pour se rapprocher du Christ.

J’invite ces équipes et ces communautés qui ont déjà fait un bout de chemin à ne pas se refermer sur elles-mêmes dans le confort de leurs petites habitudes. Restez ouvertes, toujours prêtes à vous laisser surprendre, déranger même dans votre routine, par l’appel, rarement explicite, mais toujours poignant, de familles en difficulté. Le Seigneur vous invite à sortir pour rencontrer ces familles, vous faire proche d’elles, les écouter, leur témoigner la tendresse de Dieu, leur ouvrir un chemin de vérité et de vie.

J’invite les aumôniers de mouvements et leurs équipes, les curés de paroisses et leurs EAP à donner priorité au travail pastoral qui consiste à fonder de telles communautés, à les nourrir de la Parole de Dieu, à les encadrer et les soutenir pour qu’elles puissent accomplir leur mission auprès des familles.

Au dernier Synode, le Pape François faisait un vibrant appel dans ce sens. Il s’adresse à nous tous : « L’Eglise Mère féconde et Maîtresse attentive est une Eglise qui n’a pas peur de se retrousser les manches pour verser l’huile et le vin sur les blessures des hommes (cf. Lc 10, 25-37). C’est une Eglise qui ne regarde pas l’humanité depuis un château de verre pour juger ou étiqueter les personnes. C’est cela l’Eglise, la véritable épouse du Christ, qui cherche à être fidèle à son Epoux et à sa doctrine, mais qui n’a pas peur de manger et de boire avec les prostituées et les publicains (cf. Lc 15) : l’Eglise qui a les portes grandes ouvertes pour recevoir ceux qui sont dans le besoin, les repentis et pas seulement les justes ou ceux qui croient être parfaits ; l’Eglise qui n’a pas honte de son frère qui a chuté et ne fait pas semblant de ne pas le voir, mais se sent au contraire impliquée et presque obligée de le relever et de l’encourager à reprendre son chemin et l’accompagner vers la rencontre définitive, avec son Epoux, dans la Jérusalem céleste »[21].

Conclusion

Je voudrais terminer en faisant appel aux autorités civiles du pays pour que la famille soit considérée comme la ressource la plus précieuse du pays et que, dans tout programme de développement économique et social, une priorité soit accordée au développement humain intégral des familles. Les valeurs fondamentales de notre société, comme le respect de la vie humaine, le sens du service et de l’entraide, l’accueil de toutes les composantes de la société, tout cela s’apprend d’abord en famille. La paix sociale dépend de la bonne santé de nos familles. Je reconnais le rôle propre qui revient à l’Etat pour la formulation et la mise en œuvre d’une politique de soutien aux familles. Je suis aussi reconnaissant pour ce qui a déjà été accompli par différents gouvernements successifs. L’Eglise, pour sa part, voudrait aussi assumer son rôle propre et ouvrir des passerelles de dialogue et de collaboration avec l’Etat sur des dossiers précis qui concernent la famille.

Au vu des besoins des familles aujourd’hui, je plaide pour qu’une politique de logement social digne de ce nom soit élaborée pour venir en aide aux familles pauvres. Il y a des efforts qui ont été faits, mais il y a encore beaucoup à revoir dans le plan des maisons proposées, dans le système d’attribution de ces maisons et l’élaboration des conditions qui vont avec ; dans la lutte aussi contre les pratiques frauduleuses de ceux qui accaparent plusieurs de ces logements sociaux pour s’enrichir personnellement en les louant à des prix exorbitants.

Dans le domaine de l’éducation, je plaide pour qu’une attention prioritaire soit donnée aux 30 à 35% de nos enfants qui n’arrivent pas à décrocher le Certificat d’Education Primaire. Je plaide pour que l’éducation prenne comme point de départ les besoins et les réalités très diverses des enfants de notre pays et cherche des moyens pédagogiques adaptés pour les faire avancer vers l’assimilation des connaissances essentielles proposées par le curriculum. Une éducation qui soit « Child centered » et non pas « curriculum centered ». Pour cela, je plaide pour que les enseignants et les parents soient encouragés à coopérer davantage pour le bien des enfants. En particulier, il y a ce temps creux entre l’heure de la fin de l’école et celle du retour des parents à la maison où les enfants sont souvent laissés à eux-mêmes et donc plus vulnérables. Cela est une source de gros souci pour les familles. Ce temps ne devrait pas être quasi uniquement occupé par ces classes supplémentaires abrutissantes appelées étrangement « leçons particulières ». Il y a des parcours à inventer, des collaborations à mettre en place pour que ce temps soit mieux employé. Il y a déjà ici et là des expériences comme le « enhancement program », l’accompagnement scolaire, le remedial education, des temps de sport ou d’activités culturelles bien encadrées qui mériteraient d’être évaluées pour arriver à faire des propositions qui répondent vraiment aux besoins des enfants.

La drogue est aussi une plaie de notre société. Elle ne détruit pas seulement des personnes mais s’attaque aussi à l’unité et à la sécurité des familles qui ne vivent plus en paix. Pour quelques sous de plus dans la poche de quelques-uns, des familles entières vivent un enfer. Devant cette injustice criante, je plaide pour une vigilance plus active et des mesures plus sévères envers les vrais responsables. Au nom des familles mauriciennes, je plaide pour un sursaut dans la lutte contre ce fléau.

Dans le domaine du travail, je plaide aussi pour qu’on réfléchisse à des lois ou à des règlements qui garantiraient aux mamans, ayant des enfants en bas-âge, des horaires de travail moins contraignants qui leur permettraient d’être plus présentes auprès de leurs enfants. Des pays qui croient profondément en l’importance de la famille investissent même en versant à ces mamans une allocation qui reconnaît et soutient l’importance de leur présence auprès de leurs enfants.

Enfin, last but not least, avec beaucoup d’autres Mauriciens, je plaide pour que les lois concernant les familles se préoccupent davantage de protéger et de soigner la vie humaine à ses débuts dans le sein de la mère comme à son terme, au moment où approche le moment de mourir. Toute loi qui porterait atteinte à la dignité de la vie humaine et au respect qui lui est dû devrait être bannie. Car ces lois affaiblissent le tonus moral d’une société. En revanche, investir dans le respect de la vie réveille les meilleures énergies et les collaborations les plus créatives entre les membres d’une société.

Je voudrais en terminant faire également un appel à tous les membres de l’Eglise. Le soutien aux familles doit donc être au centre de notre souci pastoral. La paroisse, les mouvements, les services, l’école sont tous au service des familles et non pas vice versa. Chaque instance est invitée à se décentrer d’elle-même, à sortir de ses routines, évaluer ses activités à la lumière de l’appel particulier que le Christ lui fait aujourd’hui et se mettre généreusement au service du développement humain des familles au service de leur croissance dans la foi.

Chacun de nous est aussi invité à s’impliquer personnellement. Que nous soyons enfant ou adolescent, jeune ou adulte, parents ou grands-parents, jeunes couples ou membres du 3e âge, prêtre, religieux(ses) ou laïc, chacun a quelque chose à apporter chaque jour de par sa manière d’être et de se comporter à la maison, au travail, dans son voisinage ou au centre commercial. C’est notre manière de vivre d’abord qui témoignera de la vérité du titre de cette lettre « Familles, Dieu vous aime ». Ce seront les mille et un signes d’affection, les mille et un services rendus, les mille et une blessures soignées, les souffrances écoutées, les pardons donnés et reçus, les mille et un pas faits pour accompagner, le temps donné gratuitement, la solidarité vécue, en un mot, ce sera l’amour en acte dans le quotidien de nos vies qui dira haut et fort « Familles Dieu vous aime ».   

Pour rendre grâce à Dieu pour le don qu’il nous fait de nos familles, et pour nous encourager mutuellement sur ce chemin de solidarité fraternelle qui voudrait remettre la famille au centre des préoccupations nationales et ecclésiales, je vous invite à un grand rassemblement des familles qui aura lieu le 24 mai 2015 à Marie, Reine de la Paix, le programme et les diverses consignes pratiques vous seront communiqués ultérieurement.

En attendant la joie de se retrouver en famille dans la grande famille de l’Eglise, je vous souhaite à tous un bon carême et une belle montée vers la joie de Pâques. N’oubliez pas « Familles, Dieu vous aime ».

Event Date:

2017-04-26 12:02:29

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