Chers frères prêtres,
Chers frères et sœurs,
La messe chrismale du Jeudi Saint a toujours été pour moi un moment très fort, comme une halte bienfaisante après le long cheminement du carême, une halte fraternelle où le presbyterium réuni autour de l’évêque se ressource dans la mémoire du jour où le Seigneur a institué le sacerdoce, dans l’action de grâce pour notre vocation commune, et dans l’accueil fraternel entre nous, membres du presbyterium, venus des quatre coins de l’horizon pour renouveler ensemble nos engagements sacerdotaux.
Il se pourrait que ce soit aujourd’hui la dernière messe chrismale que je présiderai, avec vous à la Cathédrale, en tant qu’évêque de Port-Louis. Et je ne peux m’empêcher de faire mémoire de toutes ces années où nous avons marché ensemble comme une vaillante caravane, aux couleurs d’arc-en-ciel, où nous avons porté ensemble le poids du jour et de la chaleur, nous serrant les coudes pour garder l’espérance dans l’aridité des déserts, profitant ensemble de la fraîcheur d’une oasis pour nous reposer et nous abreuver d’eau vive afin de reprendre la route d’un bon pied.
J’ai été vraiment heureux de faire ce bout de chemin avec vous ; cela a été pour moi une belle aventure humaine où nous avons cherché ensemble à faire resonner la musique de l’Evangile au cœur de la société mauricienne. Chacun avec son charisme, chacun avec sa note ou sa tonalité particulière. Cela n’a pas été toujours facile, je l’avoue, de battre la mesure et de maintenir une certaine harmonie ; mais l’Esprit Saint a quelquefois une façon surprenante de créer l’harmonie. Et j’ai appris qu’il fallait quelquefois se laisser surprendre. Tous ceux qui nous ont écoutés n’ont pas toujours voulu danser, mais beaucoup se souviendront un jour que cette musique avait touché une fibre en eux, qu’elle répondait à une aspiration profonde, et peut-être la feront-ils entendre à leur tour, à leur façon.
Je voudrais rendre grâce pour tous ceux avec qui j’ai fait un bout de ce chemin et qui sont décédés aujourd’hui. Plusieurs ont été pour moi des témoins du Christ Serviteur, des guides, des soutiens précieux. Rendre grâce aussi pour vous qui êtes là aujourd’hui, vous les prêtres mauriciens et vous les missionnaires, vous les prêtres séculiers et vous les religieux. Rendre grâce pour le don de votre vie au Christ, pour la qualité de votre témoignage, pour votre engagement dans la mission ; rendre grâce enfin pour la collaboration entre prêtres, religieuses et laïcs pour ce marcher ensemble qui a déjà commencé et que le Seigneur nous invite aujourd’hui à approfondir encore.
Justement pour renforcer la synodalité entre nous et avec les fidèles laïcs, et les religieux, remontons à la source de notre appel, à ce Jésus qui est venu nous sauver en se mettant à notre service.
Pour Jésus, être serviteur, est le cœur de sa vie. Une option claire, forte, centrale, répétée en parole et en action, à temps et à contretemps. Que ce soit durant sa vie publique, au dernier repas ou après la Résurrection, il ne se contente pas de rendre des services mais il adopte la condition de serviteur, il se situe comme serviteur. Sa vie de service est vécue dans la joie d’un marcher ensemble avec ses disciples à travers la Galilée, mais aussi dans la souffrance du rejet par les autorités, de la condamnation injuste, de l’humiliation d’un traitement brutal, d’une cruauté inimaginable. Être serviteur c’est endurer l’adversité avec patience et donner sa vie par amour. Le lavement des pieds c’est son testament « ayant aimé les siens qui étaient dans le monde il les aima jusqu’au bout ».
Ce service accompli par Jésus durant sa vie quand il est relu et médité dans la foi, il nous révèle le visage de la miséricorde du Père, le cœur du bon Pasteur qui ne veut pas qu’une seule brebis ne se perde, et qui est prêt à donner sa vie pour les protéger contre les loups qui rôdent autour du troupeau.
En Jésus serviteur, nous voyons émerger l’image d’un Dieu qui descend pour nous délivrer et qui, pour cela, accepte de payer le prix fort. L’image d’un Dieu qui vient nous chercher là où nous sommes tombés pour nous guérir, nous remettre debout et nous envoyer servir à notre tour.
Notre vocation sacerdotale prend sa source dans cet océan de miséricorde qui a imprégné la vie de Jésus et lui a donné sa tonalité unique. C’est cette même miséricorde qui nous a touchés et nous a murmuré comme la musique d’une eau de source « viens, suis-moi, quitte tout et suis-moi ». Le chant de cette eau vive nous a captivés et a réveillé en nous une vie toute nouvelle, une joie que nous avons voulu partager avec d’autres, un désir de servir comme Jésus en donnant notre vie. Si nous sommes réunis ici ce matin, c’est pour rendre grâce pour cet appel que nous avons reçu sans aucun mérite de notre part, un appel qui a donné à chacune de nos vies son orientation définitive.
Aujourd’hui est aussi un jour pour nous rappeler qu’au dernier repas, Jésus a non seulement lavé les pieds des apôtres, mais il les a aussi envoyés pour qu’ils se lavent les pieds les uns les autres.
Comme dit la prière Eucharistique, « nous te rendons grâce car tu nous as choisis pour servir en ta présence ». Servir pour nous prêtres, ce n’est pas seulement rendre des services, mais être serviteurs auprès de nos frères et sœurs pour les conduire à retrouver la grâce de leur baptême, la grâce d’avoir été choisis pour être disciple missionnaire à la suite de Jésus.
Cette grâce est comme un trésor trop souvent enfoui, oublié, comme endormi dans le cœur de beaucoup de personnes. Le grand service qui est attendu de nous c’est de chercher les moyens de réveiller cette grâce de son sommeil pour permettre à chaque fidèle de retrouver toute la vitalité et la joie profonde que Jésus réserve à ceux et celles qui le suivent avec amour.
Mais ne cherchons pas trop vite des résultats, soyons plutôt confiant dans la puissance de cette grâce qui se déploie dans notre faiblesse. Ayons aussi la patience d’un jardinier qui sait semer mais qui sait aussi attendre qu’apparaissent les premières pousses pour les soigner, les arroser jusqu’à ce qu’elles portent du fruit.
Croyons en la beauté et en la force de cette grâce baptismale. C’est elle qui fait de chacun de nous un membre du corps du Christ, associé intimement à sa vie de serviteur, partageant sa passion pour le salut de chaque personne humaine. C’est l’Esprit Saint qui l’a déposée en chacun de nous lorsqu’au jour de notre baptême il nous a consacré par l’onction pour porter la bonne nouvelle aux pauvres. Et c’est l’Esprit Saint qui la réveillera cette grâce si nous l’avons laissée s’endormir et qui la déploiera généreusement dans nos vies.
C’est pour que cette grâce donne toute sa mesure dans notre faiblesse que le Christ est mort et ressuscité ; c’est pour cela qu’il a institué l’Eucharistie pour que chacun puisse connaître la joie de l’Evangile, la joie de vrais disciples missionnaires. Tous nous sommes envoyés, chacun selon sa vocation pour rendre compte des raisons de l’espérance qui est en nous. Tant d’hommes et de femmes aujourd’hui ont soif d’espérance, tant de pauvres ont soif d’entendre la Bonne Nouvelle. N’ayons pas peur. Soyons des témoins d’espérance à la manière du Père Laval dans la douceur et le respect mais aussi dans la joie, et dans la certitude que le Christ est ressuscité et qu’il invite chacun de nous à ressusciter avec lui.
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