Intervention de Mgr Durhône et de P. Goupille à une conférence en mémoire du Cardinal Jean Margéot

Aujourd'hui, 17 juillet, nous commémorons l'anniversaire du décès du Cardinal Jean Margéot, survenu il y a 15 ans. L'évêque de Port-Louis a participé ce lundi 15 juillet 2024 à une conférence commémorative en sa mémoire à l'ICJM. Lors de son intervention, l'évêque a exprimé son admiration pour le parcours du Cardinal Margéot, soulignant que la mission d'un évêque ne peut se réaliser seul. "Le Cardinal Jean Margéot n'était pas un prêtre isolé. C'était un homme visionnaire, conscient qu'il ne pourrait accomplir sa mission seul. Il a collaboré avec son clergé, les laïcs et les religieux, qui ont partagé cette mission avec lui." Écoutez son intervention.

Nous reproduisons également l'intervention du Père Philippe Goupille, qui a été le secrétaire du cardinal Margéot durant osn épiscopat.

 

L’objectif de cette conférence est de rappeler la dialectique qui a prévalu sous l’épiscopat du cardinal Margéot entre l’importance de rester fidèle aux valeurs prônées par l’Eglise catholique tout en collaborant avec l’Etat sur des projets ayant trait au développement du pays.

1. Un premier conflit : la loi sur la contraception

Avec l’éradication graduelle et efficace de la malaria nous sommes en face d’un ‘baby-boom’ qui amène l’ile Maurice à une démographie galopante. L’entrée en première année du primaire passe de 7,500 enfants en 1948 à 22,500 en 1953. Devant cette explosion démographique sont appelés à la rescousse les professeurs Titmus et Mead de la célèbre London School of Economics. Leur rapport publié en 1960 recommande 3 mesures simultanées : l’émigration, le développement industriel, le contrôle des naissances.

 

En mars 1960 le Conseil Législatif mauricien décide de légiférer pour rendre possible la contraception dans tous les hôpitaux et dispensaires (child welfare de l’Etat). Les couples catholiques mauriciens se trouveront devant un grave cas de conscience. Le pape Pie XII, tout en acceptant la méthode Ogino pour une régulation naturelle des naissances, restait intransigeant sur la contraception artificielle. Dans la pensée officielle de l’église à cette époque, la relation sexuelle avec contraceptifs mécaniques ou chimiques était considérée comme un péché grave. Comment faciliter la participation des couples catholiques à l’effort national de réduction du nombre d’enfants tout en maintenant la fidélité à la doctrine de l’église ? L’église catholique ne pouvait rester sur une défense négative et se croiser les bras devant un problème national. C’est ainsi que Jean Margéot décida de faire venir un couple français, François et Michèle Guy, qui popularisaient une nouvelle méthode naturelle de régulation des naissances. Par une prise de température quotidienne, la femme était en mesure de connaitre le déroulement de son cycle mensuel de fertilité. D’où la fondation de l’Action Familiale avec une immense campagne de conscientisation auprès des couples catholiques, mais aussi auprès de tous les couples mauriciens pour une régulation des naissances selon les méthodes naturelles. Notons aussi que le gouvernement de l’époque décida prudemment de retirer son projet de loi favorisant la contraception pour soutenir deux organisations privées, la Mauritius Family Planning Association et l’Action Familiale.

 

Dans toute crise il y a une opportunité. L’éducation des couples pour la méthode naturelle facilita la mise en place de plusieurs mouvements pour aider les couples comme les Equipes Notre Dame et la LOAC. D’une part l’église faisait respecter ses valeurs humaines et spirituelles, mais d’autre part s’engageait à résoudre un problème d’envergure national.

 

2. Le tournant clé de l’indépendance

 

Aux élections générales de 1967 environ 44% de citoyens mauriciens avaient voté contre l’indépendance. Parmi ces 44% il y avait une grosse majorité de catholiques. L’indépendance a aussi été vécue dans un contexte de violence avec les émeutes raciales opposant les communautés musulmanes et chrétiennes dans un faubourg de Port Louis. Le lever du drapeau pour l’indépendance a été fixé au 12 mars 1968. Qu’allait faire l’église catholique ? D’autant plus que les catholiques avaient voté en grande majorité contre l’indépendance. Décision encore une fois de Jean Margéot d’organiser une prière d’action de grâce à la cathédrale et d’affirmer l’importance de respecter la valeur de démocratie. Cela ne faisait aucun doute dans l’esprit de Jean Margéot qu’il fallait que l’église pose un signe concret en faveur de l’indépendance. Soulignons la valeur prophétique du message publié le 3 mars 1968 et lu dans toutes les églises : « L’indépendance nous ouvrira des horizons plus vastes. C’est avec le monde entier que nous pourrons désormais communiquer et nous ne manquerons pas de choisir pour amis les pays dont nous rapprochent nos diverses origines raciales ». D’où la messe d’action de grâce célébrée le dimanche 10 mars à la cathédrale St Louis. Suite à cette intervention Jean Margéot fut déclaré « Homme de l’Année » par le journal l’Express.

 

3. L’église s’engage pour le développement du pays

4 documents importants pour inviter à travailler au développement en respectant la dignité de l’homme :

3.1 Lettre de carême 1970 - Le civisme

L’évêque dénonce deux obstacles principaux : le communalisme et la corruption.

3.2 Lettre de carême 1971 – L’église et la promotion de l’homme

3.3 Janvier 1971 discours à Caritas

Implantation de Caritas pour aider à une prise de conscience de la misère

3.4 1971 la Fête du Travail

L’évêque invite à la participation de l’ouvrier à la vie de l’entreprise.

 

4. Les subsides aux religions

Jusqu’en 1973 seules les églises chrétiennes catholiques, anglicanes et presbytériennes, recevaient des subsides du gouvernement. L’évêque insista pour que les subventions gouvernementales soient données à chaque religion sur une base d’égalité.

 

5. L’éducation

 

Source de conflit entre l’Eglise et l’Etat.

Décision du gouvernement de se substituer aux parents pour payer les scolarités dans les collèges secondaires.

 

Puisque l’Etat finançait les écoles, tentative du gouvernement en 1978 de remettre en question le choix des enseignants. Le gouvernement propose que les enseignants des écoles catholiques soient choisis par la Public Service Commission comme les public officers. L’évêque Jean Margéot s’adresse à la Cour Suprême. Le jugement de la Cours Suprême de 1987 insiste pour dire que les enseignants des écoles confessionnels ne sont pas des public officers, bien qu’ils soient payés par les fonds de l’Etat. Cette décision de la Cours Suprême mauricienne est confirmée par le jugement du Privy Council à Londres.

 

Deux ans après ce jugement, le 14 juillet 1989, l’Etat remettra en question un autre aspect des droits de la RCA, celui de choisir les professeurs selon ses critères propres. Le fameux GN114 fut un moment de conflit très important dans l’histoire des relations Eglise Etat. Le Chef Juge Sir Victor Glover, dans son jugement du 17 octobre 1991, confirma le droit des parents de choisir l’école de leur enfant. En Cours Suprême le Cardinal répond à la question : « Existe-t-il une manière catholique d’enseigner les mathématiques ? ». Le Cardinal répond : « Il n’y a pas de manière catholique d’enseigner les mathématiques, mais les valeurs morales sont liées au contenu de l’enseignement d’une matière quelle qu’elle soit. Je veux simplement me réserver le droit de choisir le professeur qui va enseigner même les mathématiques ». Soulignons le GN28 qui décrétait que les enfants habitant dans la proximité géographique de l’école devaient avoir une priorité pour l’admission. Finalement, avec l’aide de Jean-Claude de L’Estrac, on arriva à une décision de réserver 50% des places dans les collèges pour les catholiques.

 

Tout ce débat donna l’occasion à l’évêque dans sa lettre pastorale de 1990 d’aborder la spécificité de l’éducation catholique.

 

6. Nouvelle charte de vie pour la famille mauricienne

3 principaux défis à relever par toutes les familles mauriciennes.

6.1 Un accueil responsable de la vie : lutter contre la mentalité contraceptive.

6.2 Débalancement par rapport à la place de la femme dans le foyer avec l’emploi des femmes dans la Zone Franche.

6.3 La transmission des valeurs morales dans la famille : entre 1966 et 1987 on compte 37% d’augmentation dans le nombre de divorces.

6.4 Les mariages mixtes : changement de mentalité demandé par rapport à l’accueil des couples venant de religions différentes.

7. La drogue, un défi non une fatalité

 

En septembre 1986 la Commission Rault révèle l’ampleur du problème de la drogue. D’après les rapports officiels en 1986 il y avait entre 15,000 et 20,000 toxicomanes. D’où la lettre pastorale de carême 1987 et le lancement du Centre de Solidarité sur le modèle italien.

 

8. Le Tourisme, une Chance à ne pas Perdre

 

1991. Le Cardinal rappelle que le tourisme est un signe des temps, un phénomène international. Il plaide pour un tourisme à visage humain, et réfléchit sur le sens du repos, dimension essentielle de la vocation de l’homme. Il encourage l’attention à la personne qui fait la qualité de l’accueil mauricien et rodriguais. Déjà à cette époque il lance un appel pour le « tourisme vert ». Il souligne que « le touriste n’est pas un portefeuille à plumer, mais une personne à rencontrer ».

 

1990 fondation de la Commission Diocésaine du Tourisme.

9. Lettre à la jeunesse

 

1985. Il rappelle aux jeunes le principe de vie exposé dans l’évangile selon lequel la clé du bonheur ne se trouve pas dans ce qu’on réussit à amasser pour soi-même mais plutôt dans ce qu’on devient au niveau de son être profond.

10. Fondation de l’Apostolat de la Mer

1980. Faciliter l’accueil des marins, les aidant dans leurs multiples démarches concernant les conditions de travail, les transferts d’argent.

 

Conclusion

J’emprunte la conclusion à Pierre Renaud :

« On a beaucoup écrit sur le rôle de l’église dans le monde moderne. Tout l’engagement de l’évêque semble être axé sur le document « Gaudium et Spes » du Concile Vatican II. La cité terrestre ne tourne pas le dos à la cité éternelle. Il y a partout des hommes qui souffrent, qui attendent, qui espèrent. Il leur faut le réconfort de la prière mais il leur faut aussi une aide pour devenir des hommes et des femmes heureux. Les progrès techniques n’apportent pas toute la réponse à l’attente humaine, mais le développement tout ensemble, matériel et spirituel, doit être la préoccupation de tout authentique chrétien. »

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