Quel regard jetez-vous sur l'année écoulée ?
Cette année a été l’année de la reprise de la vie « ordinaire », celle à laquelle nous étions habitués avant la COVID. Cette reprise a été laborieuse, lente et ce, pour plusieurs raisons. Le niveau de vie de beaucoup de personnes a baissé et en même temps, le coût de la vie est monté en flèche. Ce qui fait que beaucoup de personnes de la classe moyenne ou de la classe populaire doivent s’accommoder à un train de vie plus modeste. Certains même arrivent à peine à garder la tête hors de l’eau.
Par ailleurs, beaucoup de ceux qui travaillaient dans le tourisme et qui, durant la crise, se sont lancés dans divers types de petites entreprises, ne veulent plus retourner dans le tourisme. Ils ne veulent plus d’horaires de travail qui rendent la vie familiale impossible, pour une rémunération qui n’est pas toujours à la hauteur de leurs aspirations. On remarque la même chose dans de nombreux pays. Ce rejet de ce type de travail pour ce niveau de rémunération devrait faire réfléchir sérieusement les patrons du tourisme. Si on veut maintenir un accueil humain et chaleureux dans les hôtels, il faudrait peut-être songer à améliorer les conditions d’emploi, dont les salaires.
Par ailleurs, cette année de l’après-COVID a été témoin de beaucoup d’initiatives dans le domaine de la production familiale de fruits et légumes et dans la revalorisation de recettes maison. Ces produits sont souvent mis en vente dans des boutiques ou marchés solidaires.
Du côté de l’église, la reprise des fidèles aux messes comme aux formations ou aux différentes activités pastorales a été relativement lente. Comme quoi, de bonnes habitudes qui sont interrompues indépendamment de notre volonté, peinent à reprendre une vitesse de croisière. C’est comme si on avait arrêté un athlète en pleine course et il ne peut pas reprendre la même vitesse tout de suite.
Ces dernières années ont été chamboulées par la pandémie… Quelles leçons, selon vous, faut-il retenir de ces deux dernières années ?
La pandémie a aussi montré que sous la pression de mesures exceptionnelles à prendre, les procédures d’exception sont devenues vulnérables à l’assaut de divers types de corruption. Ce qui nous appelle à être doublement vigilants par rapport à ce mal qui gangrène notre société, y compris quand nous sommes tous accablés par une pandémie.
Par contre, beaucoup de personnes qui, par la force des choses, ont réduit leur train de vie, réalisent à la longue qu’elles ne se portent pas plus mal et que les « petits luxes » qu’elles se payaient ne sont finalement pas essentiels à leur bonheur. En fait, on peut vivre heureux dans une grande sobriété. Le bonheur finalement vient des relations qu’on entretient les uns avec les autres et non pas des objets de consommation dont on s’entoure.
Cette épidémie a aussi donné naissance à un nombre incalculable d’initiatives de solidarité de différents types et ce, à plusieurs niveaux. Que ce soit à travers des ONG, des grandes entreprises ou au niveau d’un voisinage ou simplement d’une paroisse, beaucoup de personnes se sont engagées dans une entraide pratique, astucieuse quelquefois, qui a permis à beaucoup de personnes fragiles de traverser la crise sans trop de dégâts.
Alors qu’on ne pouvait pas se déplacer autant qu’on le voulait, cette solidarité a pu se déployer avec beaucoup de créativité à travers les réseaux sociaux. Dans ce temps d’épreuve, cette circulation d’une parole d’encouragement fraternel et amical a contribué à soutenir les personnes isolées et fragiles.
Qu'est-ce qui vous a marqué sur le plan local en 2022?
Grâce aux différents plans initiés par le gouvernement, par exemple le Wage Assistance Scheme (WAS), les employés d’entreprises ainsi que les entreprises elles-mêmes ont pu tenir le coup jusqu’au redémarrage des activités économiques. On a pu s’abriter de la pluie jusqu’à ce que l’orage passe.
Il faut aussi saluer le dévouement exemplaire de nombreux fonctionnaires par exemple, au sein des hôpitaux, dans la police et ailleurs, qui ont permis de traverser le confinement sans trop de dégâts.
Par contre, au moment même où tout le monde se serrait la ceinture, le commerce de la drogue fleurissait avec une arrogance éhontée. La plupart des prises spectaculaires effectuées par la police n’ont pas abouti à des condamnations proportionnées à l’ampleur du dégât. De plus, dans les quartiers pauvres, les barons de la drogue sont devenus les principaux employeurs d’une jeunesse désœuvrée, sans diplôme et extrêmement vulnérable à l’appât de cet argent facile qui, en se déversant sur eux, les corrompt sans pitié et sans vergogne. Des violences et des chantages affreux créent un sentiment de peur et d’insécurité dans les quartiers.
Ce qui est le plus triste c’est que la police, dans une large mesure, s’avoue impuissante devant ce fléau qui détruit les jeunes et qui cause des souffrances inimaginables chez les parents et grands-parents qui ont tout donné pour élever leurs enfants et leur ouvrir un chemin dans la vie. Cette souffrance mérite d’être mieux entendue et mieux prise en compte par la population comme par les autorités.
Ce qui m’a marqué aussi c’est de constater avec peine comment notre système d’éducation primaire et secondaire n’arrive pas à s’adapter aux besoins et à la culture de 25% de nos jeunes – ceux qui n’arrivent pas à passer les examens nationaux malgré la baisse du niveau de l’éducation. Je sais que la NSIF finance beaucoup de programmes para scolaires pour essayer de remédier à la situation. Mais si je puis me permettre, avec tout le respect que je dois au ministère de l’Education, c’est pendant les heures de classe qu’une pédagogie spéciale adaptée aux besoins de ces enfants doit être mise en œuvre. Comment voulez-vous qu’un enfant qui n’arrive pas à suivre le programme scolaire, qui se sent largué et qui s’ennuie pendant les heures les plus productives de la journée, puisse reprendre avec goût un nouveau programme après les heures de classe ?
Enfin, avec tous mes compatriotes, j’ai été profondément choqué par les images de torture infligée par la police à des personnes en détention policière. Des vidéos ont été soumises aux autorités policières et jusqu’ici il n’y a pas eu de blâme ni de dénonciation claire de leur part sur ce type de pratique. Quelques mesures de transfert discret ont été prises mais le problème ne semble pas avoir été attaqué à sa source. Il me semble urgent qu’une institution publique indépendante soit mise sur pied pour accueillir les complaintes du public par rapport à la police. La police ne peut pas être en même temps juge et partie. Une police ne peut pas jouer son rôle si elle n’a pas la confiance de la population. Or, ces tortures portent atteinte à la réputation de notre police. Ceci est d’autant plus dommage qu’il y a dans la police des hommes et femmes intègres et de valeur mais qui malheureusement sont étouffés par des pressions ignobles.
Et politiquement parlant ?
Politiquement parlant, il est très regrettable de constater que dans le parlement, l’Opposition n’arrive pas à jouer son rôle comme il faut, en partie à cause de l’intransigeance du Speaker et de toutes sortes d’autres tactiques subtiles qui limitent les possibilités d’intervention de l’opposition. Ceci constitue un outrage à notre démocratie dont nous étions tellement fiers jusqu’ici.
Par ailleurs, je déplore l’incapacité de l’opposition à présenter une alternative crédible. Pour pouvoir le faire, chaque parti de l’opposition doit s’élever au-dessus de ses petits intérêts et des ambitions personnelles de certains de ses membres. L’Opposition aussi doit embrasser l’intérêt supérieur du pays et être disposée à payer un prix pour cela.
De la même manière, je pense aussi que le parti au pouvoir devrait lui aussi, s’élever au-dessus de ses intérêts partisans et s’intéresser davantage au bien commun du pays. Un gouvernement est élu pour gouverner dans l’intérêt commun du pays et non pas pour se livrer à une campagne électorale permanente. Cela ne facilite pas un débat démocratique sur les véritables enjeux de société, un débat qui puisse mettre à contribution le potentiel humain dont le pays ne manque pas.
Quels sont les grands rendez-vous de l'Église pour 2023 ?
Depuis octobre 2021, le pape François a convoqué une grande consultation à l’intérieur de tous les diocèses du monde. Evêques, prêtres, religieux(ses) et laïcs ont été invités à donner leur point de vue sur les grands enjeux de la mission de l’Eglise dans le monde d’aujourd’hui et de la manière dont il convient que l’Eglise exerce cette mission. A l’île Maurice, les participants demandent avec force que les jeunes prennent plus de place dans l’église à tous les niveaux et qu’on les aide à assumer leur responsabilité. Les participants ont aussi demandé que l’Eglise soit davantage accueillante aux personnes qui sont en marge de l’Eglise et de la société pour différentes raisons mais qui n’ont pas moins besoin d’être écoutées.
Dans le même souffle, les fidèles ont été encouragés à sortir de leurs cours d’églises et de leurs sacristies pour aller à la rencontre de nos frères et sœurs de la périphérie qui n’osent pas s’approcher bien souvent.
Pour répondre à ces appels en faveur des jeunes comme des périphéries, l’Eglise s’interroge sur sa manière d’exercer cette mission. Il s’agit d’encourager la coresponsabilité entre prêtres, religieux et laïcs et d’initier un nouveau mode de gouvernance dans l’église. Une gouvernance où les personnes concernées sont consultées davantage avant que les décisions ne soient prises.
Mon projet en 2023 est de demander aux fidèles des paroisses et des différents services de l’église de réfléchir à ces questions et faire des suggestions concrètes sur la façon d’avancer dans ces directions. Le grand rendez-vous de l’Eglise mauricienne est à l’action pour ne pas rester que dans les bonnes intentions !
Une des lignes d’action est de nommer des laïcs hommes et femmes à des postes de responsabilité dans les services d’église. Par exemple, j’ai nommé le Dr Jonathan Ravat responsable de l’Institut Cardinal Jean Margéot à partir de janvier 2023. Par ailleurs, Mme Gilberte Chung est directrice du SEDEC depuis plusieurs années. De même, le contrôleur financier du diocèse est une femme, Mlle Christiane Tadebois. Dr Emilie Rivet, responsable du département de psychologie du diocèse, a même été appelée par le Pape François en octobre 2022 pour siéger sur la Commission Internationale pour la protection des mineurs et personnes vulnérables..
Je pense qu’en 2023, nous devrions avoir l’annonce de la nomination d’un nouvel évêque pour le diocèse de Port-Louis. C’est ce que le Nonce Apostolique, représentant du pape dans l’océan Indien, nous a laissé entendre en octobre dernier.
Nous poursuivrons en 2023 une formation destinée à tous les adultes en responsabilité auprès des jeunes mineurs dans le cadre de l’Eglise pour prévenir toute forme d’abus envers eux. Cette formation aborde tout à tour un volet psychologique, juridique et pastorale.
Il y aussi le projet de formation de prêtres, religieux et laïcs pour l’accompagnement des personnes divorcés-remariés qui commencera dès fin janvier.
On commencera au début de 2023 le projet d’agrandissement du collège technique Saint-Gabriel pour le transformer en un lycée technique professionnel. Ce lycée est destiné à tous ceux qui ne sont pas à l’aise dans l’éducation académique mais qui ont beaucoup d’aptitude et de potentiel pour un métier technique. Ce lycée répond aux aspirations de beaucoup de jeunes et en même temps à un des grands besoins de l’économie du pays.
Vous avez beaucoup pensé aux jeunes ces derniers temps. Que leur souhaitez-vous pour la nouvelle année?
J’encourage les jeunes à s’inspirer du modèle de leadership que le Christ nous a donné. Un leadership fondé sur l’attention et l’écoute des plus petits, sur la valorisation des talents de chacun, sur le service gratuit, quelque fois éprouvant mais qui porte toujours du fruit.
Je crois que les jeunes ont beaucoup à apporter dans ce monde nouveau qui émerge. C’est eux qui en maîtrisent le langage, c’est eux qui sont le plus attentifs à l’écologie, à la justice sociale et à la défense des petits, c’est eux qui peuvent donner de l’espoir dans ce nouveau monde qui s’invente.
Quel est votre message aux Mauriciens ?
Mon message est un message d’espérance. L’espérance qui vient du courage de ceux qui se mouillent pour le respect de la justice, qui travaillent pour le bien commun et qui, ainsi, deviennent de vrais artisans de paix.
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