Un Mauricien, Jean-Luc Mootoosamy, faisait partie des 76 journalistes accrédités par le Vatican pour suivre le 37e voyage apostolique de François au Canada du 24 au 29 juillet dernier. Il revient sur les temps forts de ce voyage et nous confie comment il a organisé la couverture de cet événement.
Le pape François est allé au bout de son « pèlerinage pénitentiel », comme il l’a qualifié. Il était déterminé, a demandé pardon à plusieurs reprises, devant plusieurs groupes. Ce qui était frappant, c’est qu’il s’est adressé directement aux survivants, aux parents, aux communautés brisées, humiliées. Pardon pour les violences de l’Eglise vis-à-vis d’enfants sans défense qui ont été battus, violés, tués, enterrés n’importe où, pardon pour des enfants disparus. Pardon pour avoir tenté de tuer la culture des autochtones. Le chef de l’Eglise catholique, qui souffre physiquement et se déplace avec difficultés, a fait des milliers de kilomètres pour présenter des demandes de pardon, c’est simplement gigantesque. Je me souviendrai toujours du regard de ceux qui disaient que ces pardons ne servaient à rien, le mal étant fait, et qui étaient en larmes en se rendant compte de ce qui se passait devant leurs yeux.
En effet, un voyage très délicat et extrêmement bien préparé par le Vatican. Nous n’étions pas dans le schéma « habituel » d’une arrivée avec comité d’accueil, drapeaux et des « viva il papa » sonores. A Edmonton, l’arrivée s’est faite dans un immense recueillement, des visages graves, des chants de survivants de pensionnats fédéraux, ce qui a posé le décor de ce que serait cette visite. Le pape est allé d’abord vers les survivants, les autochtones. Même s’il était accueilli par la Governeure Générale Mary Simon (d’origine autochtone) et le Premier ministre Justin Trudeau, cet aspect protocolaire s’est résumé au strict minimum à son arrivée. Les hymnes du Vatican et du Canada ne se sont fait entendre qu’à Québec, au 4e jour de la visite. C’était un signe important des priorités de François : les Peuples Premiers d’abord. Il a ensuite eu une rencontre très franche avec les évêques, les prêtres, les diacres, les consacrés, les séminaristes et les agents pastoraux où et il a abordé la question des abus sexuels contre des mineurs et personnes vulnérables – pas seulement dans les pensionnats fédéraux. Le pape a ici associé ce groupe dans sa demande de pardon : « je voudrais, avec vous, demander à nouveau pardon à toutes les victimes ». Enfin, il y a eu l’étape d’Iqaluit dans le Grand Nord canadien. Un lieu qui n’a pas dû voir passer beaucoup de visites officielles de chefs d’Etats. Ce moment était très fort.
Là où c’était plus délicat, c’était de voir le pape souffrir physiquement. Il allait vers les autres, semblait lutter contre son genou droit mais avec clairement beaucoup de peine. Mais il a dit que ce voyage devait se faire.
Réactions mitigées avant ses prises de parole, pas une banderole de bienvenue à Edmonton par exemple. Et puis des larmes de soulagement, des visages qui s’ouvrent à la réconciliation, une fois que le pape a demandé pardon. Un virage à 180° pour beaucoup de gens. Il y a aussi ceux qui ne décolèrent pas parce que rien ne remplacera ce que des représentants de l’Eglise leur ont pris. C’est pour cela que le pape a espéré que sa venue soit une occasion pour soigner les blessures et se réconcilier. Les actes du pape posent une base solide pour que des Canadiens qui n'arrivaient pas à vivre ensemble de manière apaisée puissent maintenant passer à la réconciliation et à « Marcher ensemble », thème de ce 37e voyage apostolique de François. Des barrières sont tombées, la mémoire des horreurs reste mais le pardon va permettre d’avancer. C’est essentiel pour les peuples autochtones, pour l’Eglise du Canada et aussi pour l’Etat canadien. Le Premier ministre Trudeau a souligné que « la réconciliation, c’est notre responsabilité à tous ». Aux Canadiens maintenant de se tenir la main, de « Marcher ensemble ».
Comme un privilégié et de manière intense. J’étais enchanté d’apprendre que mon dossier était sélectionné parce qu’il y avait peu de places (moins de 80) et la demande était très forte du côté canadien. Y être était un motif de grande fierté, d’autant plus que j’étais le seul journaliste africain. Mais la sélection ne fait pas tout, elle s’accompagne d’une immense responsabilité : il faut être bon, à la hauteur. Et comme je doute toujours à ce sujet, autant dire que je n’ai pas beaucoup dormi ! Il y avait donc beaucoup de pression mais j’étais très heureux parce que l’enfant de Rose-Hill que je suis était très fier de dire au pape que notre pays et toutes ses couleurs, le saluent. Et puis j’étais heureux d’être au milieu d’un groupe de journalistes avec qui je me sentais bien professionnellement et personnellement. L’accueil que j’ai reçu – et leur insistance pour que je revienne ! – m’ont beaucoup touché.
Le contexte était vraiment très différent. Le premier voyage était en Afrique avec un condensé de joie et de fête incroyable à chaque mètre carré de déplacement du pape. Là, au Canada, le pape venait réparer ce que d’autres ont commis avant lui. Il y avait une certaine gravité sur l’avion aller vers Edmonton. Il nous a d’ailleurs remercié de l’accompagner dans ce pèlerinage pénitentiel qui « habite [son] âme ». Et pour moi, c’était aussi important d’être témoin d’une Eglise qui reconnaît ses fautes, qui prend ses responsabilités, qui est prête à faire des efforts pour contribuer à une réconciliation nationale. Je travaille en général sur des terrains tendus et ce voyage faisait remonter beaucoup de choses que j’ai entendues en zones de conflits. Oui, c’était un voyage très différent de celui du Mozambique, de Madagascar et de Maurice. Les confrères et consœurs sur l’avion avaient aussi ce sentiment de voyage exceptionnel.
Ceux que j’ai pu rencontrer étaient ravis d’avoir fait le déplacement. Ils venaient participer à un moment historique. Ils accompagnaient aussi les Canadiens dans ce processus de réconciliation. Il y avait chez les Mauriciens que j’ai rencontrés un profond sentiment de solidarité. Et puis, chacun sentait une proximité avec les thèmes traités durant ce voyage : colonisation, préservation de sa culture, fierté pour sa langue. Même très loin de nos côtes, c’est un voyage qui nous parle aussi.
Il me faudra du temps pour prendre la mesure réelle de la réaction du public mais j’étais extrêmement content des réactions que j’ai reçues et que je reçois encore ! C’était franchement inattendu pour moi. Le public était présent, venait soit voir mes directs ou les vidéos plus tard. Je me suis rendu compte, très vite, que ce sujet et ma manière de couvrir la visite, suscitaient de l’intérêt auprès de tous ceux qui étaient de l’autre côté des « lives ». J’ai vu des réactions à Maurice, en Suisse et dans de nombreux autres pays où j’ai travaillé. C’était un énorme pari de proposer ce voyage ainsi sur mes pages Facebook, en direct, pour expliquer ce qui se passait, présenter le contexte, transmettre mon « feeling » au moment des « live ». Et Facebook est, pour cela, un excellent diffuseur.
Ma ligne éditoriale pour ce voyage était de « prendre l’antenne » quand je sentais qu’il y avait des choses à dire et à y aller de manière naturelle, comme j’étais sur le moment. A Maskwacis par exemple, après la première demande de pardon du pape, j’y suis allé sachant que j’étais bouleversé par ce que j’ai vu. Ce « live » devait partir à cet instant précis, pas à un autre et je l’ai fait. Avec le recul, j’en suis particulièrement heureux. Je remercie du fond du cœur toutes celles et tous ceux qui m’ont suivi et qui liront cet entretien. Merci à « La Vie Catholique » qui publie mes textes et a fait un point avec moi sur sa page Facebook lorsque j’étais à Edmonton. Je vais maintenant proposer des reportages, d’autres productions, je vais aussi proposer un projet qui m’aidera à couvrir les frais importants du voyage que j’ai couverts intégralement. J’espère pouvoir encore compter sur ceux qui ont apprécié mon travail.Pour ceux qui veulent voir les productions de Jean-Luc Mootoosamy, rendez-vous sur :
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Lundi à vendredi
08h00 à 16h00
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