Introduction
Cher jeune de Maurice, d’Agaléga et des Chagos,
Pour ma première lettre pastorale, je voudrais m’adresser à toi en particulier sur la conscience politique et citoyenne. Toute conscience a besoin d’être éveillée et éclairée. Comme nous le rappelle le texte sur “L’Eglise dans le monde de ce temps”, la conscience est “ cette voix, qui ne cesse de le presser d’aimer et d’accomplir le bien et d’éviter le mal et qui, au moment opportun résonne dans l’intimité de son cœur. »[1]
Est-ce que la conscience politique et citoyenne n’a besoin d’être cultivée qu’au moment des élections ? Pouvons-nous vivre sans conscience politique et citoyenne ? Cette conscience n’est-elle pas déjà ancrée en nous et s’éveille à différents moments de notre vie ?
Une réflexion sur cette question me paraît essentielle pour continuer à construire la société mauricienne « as one people as one nation in peace, justice and liberty ». Cette phrase de notre hymne national nous rappelle que la conscience politique et citoyenne s’est construite progressivement à travers l’histoire politique de notre pays.
Je voudrais, dès le départ, préciser deux pièges à éviter : premièrement, croire que toi jeune, tu ne penses qu’à toi, que tu aimes t’amuser, que tu ne t’intéresses à rien et que tu ne veux prendre aucune responsabilité. Et deuxièmement, croire que les générations passées valaient mieux que cette génération actuelle.
Je crois au contraire que toi jeune, tu as des potentiels extraordinaires qui méritent d’être valorisés. En m’adressant à toi, j’exprime ma conviction profonde que tu as beaucoup à donner à notre chère République de Maurice.
I. La politique et la citoyenneté : c’est quoi ?
La politique est une action collective, permanente, une grande aventure humaine. Elle concerne à la fois ta vie quotidienne et le destin de l’humanité. La citoyenneté consiste à respecter un ensemble de règles communes qui assurent le respect des personnes, de leur bien-être et de leur environnement.
Devenir citoyen est un long processus. La construction de la citoyenneté ne va donc pas de soi. Une prise de conscience est nécessaire et c’est toute une évolution qui te permet de comprendre la portée de tes actes au sein de la société. La politique et la citoyenneté commencent dès ta naissance.
Dans un délai de quarante jours, tes parents vont au bureau de l’état civil pour obtenir ton acte de naissance, te rappelant ton appartenance à la République de Maurice. Ton inscription à l’école maternelle, primaire, secondaire et à toute institution tertiaire, est de fait un acte politique et citoyen, car tu entres dans un système éducatif.
Plus tard, dans le monde professionnel, tu auras à observer les lois du travail de notre pays. Obtenir ta carte d’identité, ton permis de conduire ou ton passeport, te rappelle tes droits et tes devoirs en tant que citoyen. Rappelle-toi que Jésus, Dieu fait homme, avant même de naître, est conduit par Joseph et Marie à Bethléem en Judée pour un recensement décrété par l’empereur Auguste.[2] Jésus participe à la vie en tant que citoyen en payant la taxe à César.[3]
II. La conscience politique et citoyenne : Pourquoi ?
La conscience politique et citoyenne est essentielle et vitale. J’en vois quelques objectifs :
Réaliser le vivre ensemble
La politique a en effet comme but de favoriser le « vivre ensemble » de personnes et de groupes qui, sans elle, resteraient étrangers les uns aux autres. L’action politique a un fantastique enjeu : tendre vers une société dans laquelle chaque être humain reconnaîtrait en n’importe quel autre être humain son frère, sa sœur et le traiterait comme tel.
Notre pays regroupe des personnes de cultures différentes. Rappelle- toi de ces belles amitiés vécues entre jeunes de religion et de culture autre que la tienne. De telles rencontres perdurent au-delà de tes années scolaires. Te souviens-tu des parties de football ou d’autres activités où tu te retrouvais avec des amis ou des camarades de classe venant de cultures et réalités diverses ?
Que ce soit dans les domaines éducatif ou médical, il y a des interactions entre personnes de divers horizons.
Poursuivre le bien commun
L’organisation politique existe par et pour le bien commun. Le bien commun « comprend l’ensemble des conditions de vie sociale qui permettent aux hommes, aux familles et aux groupements de s’accomplir plus complètement et plus facilement. »[4] Nos plages, la mer, les centres de jeunesse ou les espaces publics sont autant d’exemples de bien commun.
Aussi doit-il être l’objet d’une recherche inlassable de ce qui sert au plus grand nombre, de ce qui permet d’améliorer la condition des plus démunis et des plus faibles. Il se doit de prendre en compte non seulement l’intérêt des générations actuelles, mais également, dans la perspective d’un développement durable, celui des générations futures.
Je t’encourage, cher jeune, dans ton engagement au niveau écologique en vue de préserver notre environnement. Je suis heureux de voir des jeunes Mauriciens porter bien haut les couleurs de notre pays dans le domaine sportif ou musical. Quand tu t’engages pour le respect de la dignité de chaque citoyen, tu fais avancer le bien commun. Quand tu te donnes à fond pour conscientiser et sensibiliser d’autres jeunes sur les dangers de la drogue, de l’alcool et d’autres fléaux, tu fais avancer le bien commun.
C’est ce à quoi t’exhortait le Pape François lors de sa visite à Maurice en 2019 : « Ne nous laissons pas voler le visage jeune de l'Église et de la société ; ne laissons pas les marchands de la mort voler les prémices de cette terre ! ».
Maîtriser la violence
Notre société mauricienne n’est pas épargnée par des scènes de violence, fléau qui ronge notre société. Je suis touché et triste de voir des vidéos circulant sur les réseaux sociaux où des jeunes sont impliqués dans des actes de violence dans les gares ou dans les salles de classe. L’un des objectifs de la politique est le maintien de la paix par la maîtrise de la violence.
L’Etat a un rôle prépondérant à faire émettre des lois qui sanctionnent les actes de violence, d’injustices flagrantes, de conflits d’intérêts qui peuvent mettre en danger la société mauricienne. Quand tu te mobilises contre la violence, que ce soit au niveau des « Student Councils », dans des Organisations Non Gouvernementales (ONG) ou dans des structures du ministère de la Jeunesse et des Sports, en tant que citoyen responsable de notre pays, tu éveilles la conscience des jeunes. Tu n’attends pas que l’Etat mette en place des lois ou des mesures pour travailler pour la paix sociale.
Sur des plateformes telles que Tik Tok, Instagram, tu transmets aussi un message de paix et de non-violence, donnant ainsi une autre image de notre jeunesse.
Valoriser la tâche politique
La noblesse de l’engagement politique est indéniable. Les cas de corruption qui existent ne doivent pas être l’arbre qui cache la forêt. Reconnaissons que bon nombre de citoyens, animés par le souci de la justice et de la solidarité, se dépensent pour le bien commun. Ils conçoivent leur engagement comme un service et non comme un moyen de satisfaire leur ambition personnelle. Dénoncer la corruption, ce n’est pas condamner la politique dans son ensemble, ni justifier le scepticisme et l’absentéisme à l’égard de l’action politique. C’est donc une activité noble et difficile : les hommes et les femmes qui s’y engagent, ainsi que tous ceux et celles qui veulent contribuer au vivre ensemble, méritent notre encouragement.
Solidaire du genre humain, tu ne peux te détourner des réalités de ce monde en pleine transformation. C’est ton devoir de citoyen de t’engager à la construction de l’avenir de la société mauricienne. C’est à toi de contribuer à redonner à la politique ses lettres de noblesse. En te réappropriant la politique et la citoyenneté, l’engagement politique peut devenir un chemin d’espérance. J’y reviendrai dans la troisième partie.
III. Eveiller la conscience politique et citoyenne : Comment ?
L’apprentissage de la démocratie
Il n’y a pas de démocratie véritable sans comportements démocratiques. Il s’agit d’apprendre à connaître et à respecter l’autre dans sa différence. C’est aussi privilégier le débat au combat tout en développant le dialogue vrai. La démocratie s’apprend, par la pratique, tout au long de sa vie.
Un tel apprentissage se fait dans ta famille où comme enfant et comme jeune, tu te socialises en respectant les autres membres. Ta famille est le lieu aussi de l’apprentissage des règles de vie en société, de l’éveil de la conscience morale et de l’éducation.
L’école joue également un rôle important en particulier par la reconnaissance et le respect de l’autre. A travers l’institution scolaire, tu es amené à faire l’expérience de l’ouverture du monde. Tu apprends à travailler en équipe et à développer une culture de la responsabilité.
Le temps de la jeunesse est le moment par excellence pour la prise de conscience de l’importance de la tâche politique, à l’échelle de l’humanité. Tu es très favorable aux droits de l’homme, soucieux du progrès de la paix et de la solidarité.
Dans un message aux jeunes du 8 mai 1995, le Pape Jean Paul II s’exprima à eux en ces termes : « Rejetez les idéologies bornées et violentes, rejetez toute forme de nationalisme exacerbé et d’intolérance : c’est là que s’insinue insensiblement la formation de la violence et de la guerre. La mission vous est confiée d’ouvrir des voies nouvelles pour la fraternité entre les peuples, pour bâtir une famille humaine unique. »
Formation des jeunes sur le leadership social et politique.
Cet apprentissage aux comportements démocratiques passe par la formation. Te former est important pour que tu puisses plus tard être acteur dans des lieux de décision. Comme citoyen, tu es encouragé à mieux comprendre les réalités qui te touchent. Tu es appelé à participer dans des instances de décision, dans les instances des paroisses telles que le Conseil Pastoral des Jeunes, les Equipes d’Animation Pastorale ou la Pastorale des Jeunes. Le Synode nous encourage à croire dans les jeunes.
Cela passe par la formation pour devenir des leaders dans l’Eglise et la société mauricienne. Dans la partie précédente, j’insistai sur la valorisation de la politique. Un tel chemin peut être vécu quand les jeunes prennent des responsabilités en prenant une part active dans les centres de jeunesse où ils apprennent à exercer leur responsabilité citoyenne. Ils sont bien capables d’organiser des journées récréatives et sportives. Ils sont bien capables d’organiser un don de sang dans les établissements scolaires.
Depuis trois ans, l’Institut Cardinal Jean Margéot (ICJM) propose une formation intitulée « Lidersip ek Politik » : le leadership et le politique. Politique au masculin, c’est-à-dire la vie de la société, l’engagement citoyen, les droits de l’homme, etc. Un programme pour mieux-vivre-ensemble, au sein duquel il y a la politique, c’est-à-dire encourager les Mauriciens à faire de la politique active, s’engager dans les partis, etc. Grâce à cette expérience, l’Institut propose en parallèle cette année un autre parcours, cette fois-ci exclusivement pour les jeunes sur l’éveil de leur conscience citoyenne.
Cher jeune, je t’invite à vivre ces formations qui peuvent t’aider à développer en toi tes potentiels pour servir ton pays.
Travailler ensemble dans l’émergence d’une conscience citoyenne mauricienne
Je crois beaucoup en toi pour construire la mauricianité tant espérée. J’ai choisi le terme mauricianité plutôt que mauricianisme. Le mauricianisme peut rester une belle idéologie qui risque de véhiculer des idées. Or, la mauricianité vient me toucher dans mon identité.
Mon identité de citoyen mauricien se construit d’abord par les expériences vécues. Le communalisme ne fait pas partie de l’ADN du citoyen mauricien. C’est pourquoi, j’encourage des initiatives dans lesquelles des jeunes de différentes cultures ou religions organisent des rencontres afin que se réalise « as one people, as one nation, in peace, justice and liberty ».
En décembre 2023 des jeunes chrétiens et musulmans ont vécu une journée de réflexion pour promouvoir la non-violence. Le Conseil des Religions a aussi mis en place une aile jeune provenant de diverses cultures religieuses. Des jeunes se mobilisent aussi pour développer une conscience écologique ; toutes ces bonnes volontés construisent la citoyenneté mauricienne.
Conclusion :
La responsabilité citoyenne : le droit et le devoir de voter
En tant que citoyen consciencieux et responsable, tu as le droit et le devoir de bien choisir les représentants et les gestionnaires de ton avenir. Par ton vote, tu écris l’histoire et génères progrès, emploi, sécurité, honnêteté, justice. Que ton vote réponde fondamentalement à tes valeurs, à tes rêves, à ta foi, en respectant toujours ceux qui pensent différemment de toi.
Cette conscience civique t’engage à discerner et à choisir les plans et programmes qui indiquent, avec clarté et réalisme, comment faire face aux défis sociaux, économiques ou écologiques, à partir de principes éthiques et moraux qui respectent les droits de l’homme, tels que la vie dans toutes ses expressions, la liberté personnelle, sociale et religieuse, l’équité, ainsi que l’égalité des chances au travail, à la santé et à l’éducation.
Défi politique
Cher jeune, je t’invite à te mettre en groupe pour rédiger ton projet de société pour l’île Maurice et Agaléga. N’hésite pas à faire connaître tes attentes au niveau de l’éducation, de l’écologie et tes préoccupations concernant bon nombre de jeunes adultes qui veulent émigrer au Canada, en Australie, pensant trouver un meilleur avenir.
Je serai heureux d’écouter tes projets de société. Tu peux me les envoyer par mail[5] et je t’inviterai à venir me rencontrer.
Comme tu peux le constater, la responsabilité politique est plus large qu’élire et voter. Elle implique tant d’autres aspects ; par exemple : mieux connaître notre Constitution, comprendre nos institutions démocratiques, nos principes fondamentaux, etc. « Ki formasyon to konsyans pa teign apre eleksyon ! ». Il faut rester debout, en veille et en vigilance, comme écho à ce que notre Maître Jésus-Christ lui-même nous rappelle dans l’Évangile. Responsabilité politique et foi ne s’opposent pas. Il n’y a pas de séparation entre prier et voter, entre aller à la messe, à la mosquée, au temple, au kovil ou à la pagode et s’intéresser à la politique.
Réflexions autour de la Lettre Pastorale
Je remercie les jeunes de différents horizons culturels que j’ai sollicités pour réagir à la lettre. Ils m’ont fait part de leurs réflexions, partagé leurs sentiments et ont contribué à ma réflexion pour cette première Lettre Pastorale.
Une fois la lettre publiée, différentes instances telles que le Service Diocésain de l’Education Catholique (SeDEC), le Service Diocésain de la Pastorale Familiale (SDPF), le Service Diocésain de la Pastorale des Jeunes et des Vocations (SDPJV), le Service de la Catéchèse et du Catéchuménat (SDCC) ainsi que le Service Diocésain de la Communication (SDCOM), proposeront des outils pour réfléchir sur la Lettre Pastorale.
Cher jeune de la République de Maurice, je te remercie de me soutenir dans ma mission en tant qu’évêque. Je suis convaincu que tu es et seras le messager et le constructeur de la mauricianité tant voulue. Je compte sur toi pour m’éclairer dans une vision de société que nous construirons ensemble ; enfants, jeunes et adultes.
Je t’invite à prier pour notre pays en reprenant la prière pour la République.
Fraternellement,
+ Jean Michaël Durhône
Evêque de Port-Louis
[1] Concile Vatican II « L’Eglise dans le monde de ce temps », No. 16, 7 décembre 1965.
[2] Evangile selon Saint Luc, chapitre 2, 1- 5.
[3] Evangile selon Saint Luc, chapitre 20, 21- 25.
[4] Concile Vatican II, « L’Eglise dans le monde de ce temps », No. 74, 7 décembre 1965.
[5] Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
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